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En Guinée, les tentations autoritaire et présidentielle du général putschiste Mamadi Doumbouya

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Sous un ciel préservé des dernières pluies de l’hivernage, Conakry s’est barricadé. Près de 3 000 soldats et des dizaines de véhicules militaires remontent l’autoroute « Le Prince » avant de pénétrer sur l’esplanade du 28 septembre. En ce 2 octobre, jour de célébration de l’indépendance de la Guinée et de défilé militaire, le général Mamadi Doumbouya, assis aux côtés de son épouse – une ancienne gendarme drômoise –, a préféré un élégant boubou blanc à l’uniforme d’apparat. Derrière lui, ambassadeurs accrédités et hauts dignitaires du régime assistent à la démonstration de force de l’armée.

Trois ans après avoir renversé le président Alpha Condé, l’ancien caporal de la légion étrangère est passé de « président de la transition » à « président de la République » dans les communications officielles. Il s’est installé dans sa fonction et semble y prendre goût.

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Le soir de son coup d’Etat, le 5 septembre 2021, flanqué de huit éléments des forces spéciales, il avait surgi sur le plateau du journal télévisé national pour annoncer l’arrestation du chef de l’Etat, à l’issue d’une matinée d’affrontements. Alpha Condé s’est depuis exilé en Turquie.

Face caméra, Mamadi Doumbouya avait dénoncé la corruption du régime déchu, avant de conclure par une métaphore déroutante : « La Guinée est belle. Nous n’avons plus besoin de la violer. On a juste besoin de lui faire l’amour. » S’en était suivie la dissolution des institutions, remplacées par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) dont il prit la tête. Des personnalités politiques, comme le haut fonctionnaire Mohamed Beavogui nommé premier ministre, se rallièrent à la « rectification » en cours.

« Sa candidature est une évidence »

Le troisième régime militaire de l’histoire de la Guinée débutait sous des auspices favorables. Avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’organisation sous-régionale alors inflexible avec les putschistes maliens, les frictions seront passagères. Mamadi Doumbouya n’a depuis jamais cessé de jouer les équilibristes entre ses promesses initiales et ses tentations apparentes pour l’avenir.

Il s’engage à rétablir l’ordre constitutionnel avant le 31 décembre 2024 et à ne pas se présenter aux futures élections. Mais le serment s’éloigne à mesure que la date approche. L’intéressé ne s’est pas prononcé mais, dans son camp, les encouragements se multiplient. « Sa candidature est une évidence, annonce déjà Ousmane Gaoual Diallo, le porte-parole du gouvernement. On a besoin de sa rigueur pour poursuivre les réformes. Les autres candidats ne pourront jamais être majoritaires. Les coalitions, c’est l’instabilité. Les coups d’Etat arrivent comme ça depuis 1958… »

« S’il y va, cela portera un risque majeur à la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest, juge en revanche Issaka Souaré de l’Institut d’études de sécurité (ISS). Le message envoyé serait qu’un militaire peut commettre un putsch, puis aller aux élections. D’autres officiers pourraient tenter le même coup. La Cedeao serait encore plus en difficulté pour faire respecter les lois démocratiques dans la région ». Pour l’heure, ni le recensement général de la population, ni la révision du fichier électoral n’ont été lancés.

Au nom de la stabilité, M. Doumbouya impose une empreinte autoritaire. A Conakry, sur les principales artères de la ville, son portrait en uniforme est partout. Présenté comme « silencieux mais travailleur » sur les affiches à sa gloire, le dirigeant guinéen cultive un curieux paradoxe. Il sature l’espace public mais se bunkérise dans son palais.

Des actes liberticides

Situé dans la presqu’île de Kaloum, au sud de Conakry, le palais Mohammed V est protégé par des gardes surarmés et chaque mois plus nombreux. « Le président s’est retranché, constate un habitué des lieux. Certains ministres ne l’ont pas rencontré depuis des semaines. » « Il craint d’être renversé mais il est loin d’être déconnecté de ce qui se passe », ajoute une autre source.

Un événement, jeudi 26 septembre, est venu traduire la fébrilité ambiante. Un mouvement de panique a traversé Conakry après que des tirs inexpliqués ont éclaté près de la présidence, selon des riverains. En quelques minutes, le centre-ville s’est vidé, les rues ont été quadrillées par les forces spéciales. La présidence a dénoncé « des rumeurs folles ».

Ces derniers mois, la junte a multiplié les actes liberticides. Médias fermés, manifestations réprimées – au moins 47 morts selon Amnesty International entre septembre 2021 et mai 2024 –, opposants incarcérés ou contraints à l’exil… Les rangs des officiers tombés en disgrâce ont été frappés par une mystérieuse hécatombe. Le 25 septembre, le corps du colonel Bilivogui, disparu depuis un an, a été rendu à sa veuve, sans que les causes de son décès soient données. Il avait été interpellé après la retentissante évasion de quatre personnalités militaires jugées pour le massacre de plus de 150 personnes en 2009.

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Cette mort suspecte s’ajoute à celle Sadiba Koulibaly, chef d’Etat des forces armées de 2021 à 2023, décédé en détention une semaine après sa condamnation, le 15 juin, à cinq ans de prison pour « désertion et détention illégale d’armes ».

Indulgence internationale

La liste funèbre s’est allongée avec la mort en détention, le 26 septembre, du chef de service de pédiatrie de l’hôpital de Kankan, fief de M. Doumbouya. Mohamed Dioubaté était soupçonné d’avoir enflammé un portrait du chef de junte hissé à un rond-point de la ville. Le 2 octobre, lors de l’inauguration d’une statue de M. Doumbouya, le préfet de la région a averti ceux qui dégraderaient le monument. « « Si nous attrapons une seule personne, elle subira le même sort que l’autre », a menacé Kandja Mara devant la presse.

« Même si elle nie sa responsabilité dans ces morts, la junte envoie un message clair. Si vous vous dressez contre nous, vous le paierez, relate un journaliste sous le couvert de l’anonymat. Dans ma rédaction, on ne traite plus les sujets sensibles pour continuer à exister. Même sous Alpha Condé, ce n’était pas aussi dangereux. »

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Les signes de durcissement du régime sont évidents, mais Mamadi Doumbouya peut toujours compter sur l’indulgence internationale. S’il fustigeait à la tribune des Nations unies en 2023 l’« hypocrisie » des Occidentaux « donneurs de leçon » démocratiques, la mansuétude à son égard est constante.

Courtisé par Moscou – Sergueï Lavrov a approuvé en juin à Conakry la formation de davantage d’officiers guinéens à l’antiterrorisme dans les académies russes –, Mamadi Doumbouya est un allié à ménager pour la France. Pour muscler son arsenal, la junte qu’il dirige peut compter notamment sur le partenariat militaire de ses anciens frères d’armes.

« Déni de démocratie »

Et la diplomatie française montre une grande discrétion publique sur la brutalité du régime guinéen. Lorsque deux activistes du Front national de défense de la Constitution (FNDC), farouches opposants à la junte, sont enlevés par des militaires, Paris ne dit rien, contrairement aux Etats-Unis qui ont condamné leur rapt. Depuis juillet, Oumar Syllah et Billoh Bah sont portés disparus.

« Ces enlèvements sont une erreur politique absurde après la réussite du procès du 28 septembre », s’agace une source française. Plusieurs chancelleries l’ont fait savoir aux autorités guinéennes sans en faire la publicité. La France n’a pas à commenter les choix politiques des Guinéens au nom du principe de souveraineté. »

Cette tolérance est d’autant plus marquée que le régime de Doumbouya a refusé de rejoindre l’Alliance des Etats du Sahel (AES), l’organisation formée par les juntes au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger, proche de Moscou. « Il n’y a certes pas de mercenaires Wagner en Guinée, mais le déni de démocratie est plus dangereux, dénonce Cellou Balde, représentant dans la région de Labé (nord) de l’Union des forces démocratiques de Guinée, dont le leader, Cellou Dallein Diallo, s’est exilé, comme d’autres opposants. Il n’est pas souhaitable pour nos partenaires de signer des contrats colossaux avec une junte qui n’a pas de légitimité. Si elle se maintient au-delà du 31 décembre, les perspectives économiques s’annoncent très sombres. »

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Ce risque, les entreprises minières qui opèrent en Guinée l’ont bien perçu. Lors du récent forum sino-africain, Pékin a exprimé en coulisse ses craintes pour la préservation de ses intérêts. En janvier, une quinzaine de diplomates étrangers s’étaient émus auprès du ministre des affaires étrangères des restrictions d’accès à Internet. Durant trois mois, la connexion avait été coupée en raison d’un « problème » de sécurité selon les autorités. « La pression des miniers est sans doute la plus importante pour le régime. La bauxite assure l’essentiel des recettes de l’Etat. Sans son exploitation, il ne peut plus assurer son budget et sa survie », constate un expert de la filière.

L’armée, principale menace du régime

Pour légitimer son pouvoir, Mamadi Doumbouya devra en passer tôt ou tard par une élection. Pour ce faire, ses alliés font valoir son bilan « positif » : couverture médicale universelle pour les fonctionnaires retraités, prise en charge des soins de la femme enceinte, fonds pour les indigents, construction de routes… Dans un pays où le salaire moyen avoisine les 40 euros, ces réformes auraient pour visée d’atténuer la grande pauvreté, sans qu’on puisse en mesurer encore les fruits. Le pouvoir met aussi en avant l’avant-projet de Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Un garde-fou selon ses rédacteurs contre toute dérive autoritaire.

« C’est un texte novateur car, désormais, un président auteur de violations répétitives des droits humains pourra être poursuivi pour haute trahison », explique Dansa Kourouma, ancien militant des droits humains, devenu président du CNT, l’Assemblée provisoire.

Reste la principale menace pour le régime militaire guinéen, celle provenant de son armée. Les tensions survenues ces derniers mois ont révélé des frictions au sein des forces spéciales, l’unité qu’il commandait avant le putsch et qui assure désormais sa garde.

Quinze ans après le massacre du 28 septembre 2009, où des manifestants avaient été assassinés pour s’être opposés à la candidature d’un autre putschiste, le capitaine Moussa Dadis Camara, la Guinée retient son souffle et s’interroge : Mamadi Doumbouya suivra-t-il le chemin du fantasque capitaine condamné à vingt ans de réclusion ou celui de son successeur, le placide général Sékouba Konaté qui organisa l’élection et permit l’arrivée d’un président civil ? Pour l’heure, personne ne lui impose de feuille de route.

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