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En RDC, pour revenir dans la course aux minerais stratégiques, les Etats-Unis négocient avec Dan Gertler

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Le gouvernement américain va-t-il lever les sanctions qu’il avait imposées en 2017 à Dan Gertler, le magnat israélien des mines en République démocratique du Congo (RDC), pour revenir dans la course aux minerais stratégiques dont regorge ce pays ? Jean Claude Mputu, qui s’était vu décerner en 2023 le prix de « champion anticorruption » par le département d’Etat américain, en est convaincu. « On vient d’apprendre que Dan Gertler est en train de retirer certaines des plaintes déposées contre ceux qui l’ont dénoncé », donne pour premier indice le directeur adjoint de l’ONG Resource Matters, également porte-parole de la plateforme Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV).

Pour le militant congolais, lui-même poursuivi pour diffamation par l’homme d’affaires, ce retrait répond à une motivation : Dan Gertler cherche à convaincre le gouvernement américain de signer l’accord qui conduira à un allégement des sanctions du Trésor qui le visent. « L’arrêt des procédures judiciaires faisait partie des préconditions exigées par Washington », précise Jean Claude Mputu.

Premier producteur mondial de cobalt et premier producteur africain de cuivre, la RDC possède aussi la septième réserve mondiale de lithium et ambitionne de représenter 30 % des exportations mondiales de germanium. Tous ces minerais sont cruciaux pour la transition énergétique, notamment pour la fabrication de batteries électriques. Seulement, les Etats-Unis sont à la traîne. Avec la crise des « subprimes », dans les années 2000, les entreprises américaines ont vendu leurs participations dans la plupart des grands projets miniers, notamment en RDC.

Ces ressources sont aujourd’hui aux mains de sociétés chinoises. En 2022, Pékin contrôlait directement environ 60 % de la production mondiale de ces terres rares et en raffinait même 90 %, créant un problème de sécurité nationale pour les Occidentaux. Parmi les rares exceptions en RDC : les mines dans lesquelles Dan Gertler détient encore des intérêts. Or les sanctions imposées par le Trésor américain interdisent aux personnes et entreprises américaines de commercer avec les entités ciblées. Par extension, ces sanctions peuvent frapper tous leurs partenaires qui font des opérations en dollars avec elles ou qui ont des intérêts aux Etats-Unis, y compris les banques qui facilitent ces transactions.

« Procédures bâillons »

Jean Claude Mputu sait qu’un allégement des sanctions est possible, surtout en période électorale aux Etats-Unis. En janvier 2021, juste après la présidentielle, Dan Gertler l’avait obtenu de l’administration Trump, qui avait pourtant imposé ces sanctions quatre ans plus tôt pour des « opérations minières et pétrolières corrompues ». Celle de Joe Biden s’était empressée de les rétablir, mais les temps semblent avoir changé. Deux sources officielles congolaises et une américaine confirment, sous le couvert de l’anonymat, que depuis plus d’un an, la RDC, les Etats-Unis et l’homme d’affaires négocient secrètement.

« Les Américains tiennent à ce que Dan Gertler quitte le pays et qu’il n’ait plus d’intérêts en RDC, c’est ça l’exigence », confie une source à la présidence congolaise. La source américaine insiste, elle, sur le fait que son pays ne fait que poser des conditions au rachat de ses derniers actifs, les royalties de grands projets miniers, « puisque Dan Gertler est sous sanctions ».

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Parmi les conditions américaines figurent l’abandon des poursuites contre les militants anticorruption, les journalistes et deux lanceurs d’alerte condamnés à mort après avoir dévoilé comment, malgré les sanctions, Dan Gertler continuait de réaliser des transactions en dollars dans des banques en RDC sous couvert de sociétés écrans – des accusations démenties par l’homme d’affaires.

« Ces procédures étaient des procédures bâillons, lancées pour certaines sans véritable espoir de gagner, mais qui se sont traduites par la condamnation à mort de Navy Malela et Gradi Koko, les lanceurs d’alerte d’Afriland First Bank. Malgré cela, il est désormais question que les Etats-Unis lèvent ces sanctions, ce qui constitue une évolution alarmante », déplore Henri Thulliez, directeur de la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf).

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Dan Gertler s’est longtemps vu comme « le roi du Congo ». Petit-fils du premier président de l’Israel Diamond Exchange, l’un des plus grands centres diamantaires au monde, il avait expliqué l’étendue de son pouvoir dans ce pays lors d’une procédure d’arbitrage à Tel-Aviv. Dans cette décision de plus d’un millier de pages rendue en avril et obtenue par la Pplaaf, ce juif orthodoxe, proche du Likoud, raconte en détail ses débuts, en 1997, dans un Congo en plein conflit, et comment il a développé des relations avec Augustin Katumba Mwanke, l’un des principaux conseillers de l’ex-président Joseph Kabila (2001-2019). « La confiance » et « de larges paiements », essentiellement en liquide, ont été les ferments de son succès.

Des diamants au cobalt

Dan Gertler s’est intéressé à la RDC pour ses diamants, dont Laurent Désiré Kabila (1997-2001) lui accorda l’exclusivité de l’exportation. Mais il est devenu milliardaire grâce à son cuivre et son cobalt.

Quand le Trésor américain le place sous sanctions, en 2017, il précise que plusieurs sociétés offshore auxquelles il est lié ont obtenu des actifs miniers à bas prix qu’elles ont en partie revendus, plus cher, à des multinationales européennes. Ces transactions « opaques et corrompues » réalisées entre 2010 et 2012 auraient coûté, selon Washington, près de 1,5 milliard de dollars de recettes à la RDC, soit un cinquième de son budget annuel de l’époque, et des centaines de millions de dollars de prêts du Fonds monétaire international (FMI).

Plusieurs partenaires d’affaires de Dan Gertler ont fait l’objet d’enquêtes aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Suisse, certains ayant été poursuivis ou condamnés. En août, l’entreprise de négoce de matières premières Glencore a été condamnée à verser plus de 150 millions de dollars de compensation à l’Etat suisse pour ne pas avoir empêché son « partenaire commercial » de corrompre des responsables congolais.

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Seulement, Dan Gertler n’est jamais directement nommé dans ces procédures, le nom de l’intermédiaire étant anonymisé dans les documents publics. Sa société Ventora en conclut qu’« aucune enquête n’a trouvé de preuves d’actes répréhensibles ». Même dans la décision de Tel-Aviv, l’ancien juge chargé de l’arbitrage a souligné n’avoir relevé « aucune preuve convaincante […] de paiements déloyaux, de pots-de-vin ou de paiements irréguliers ». Il l’a toutefois condamné à payer à ses anciens associés 85 millions de dollars plus les intérêts, ainsi que des dettes et des parts dans une mine de diamants. Dan Gertler a rejeté les points de la décision qui donnent raison à ses anciens associés et attend désormais que la justice israélienne se prononce.

Après le départ de son ami Joseph Kabila de la présidence, Dan Gertler avait pourtant connu une période d’incertitude. En janvier 2021, après la saisie de certains de ses actifs par le nouveau gouvernement, il s’était adressé pour la première fois directement, dans un message vidéo, à ses « sœurs et frères congolais », leur promettant de toucher une part des royalties des grands projets miniers du pays. « Aujourd’hui, on fait l’histoire, disait-il. Après toutes ces années et tous ces efforts, et avec l’aide de Dieu, aujourd’hui on est arrivé à un stade où nous pouvons […] partager les richesses du cobalt et du cuivre des mines de la RDC. » Ce projet, le magnat des mines lui donne un nom : Yabiso. « C’est à nous », en lingala.

Un accord avec Tshisekedi

Or pour Fabien Mayani, chef du programme droits humains au Centre Carter, comme pour les autres membres du CNPAV, ces redevances appartiennent à l’Etat congolais et devraient lui être restituées « sans contrepartie ». « C’est une redevance contractuelle de 2,5 % des revenus bruts payée par les entreprises de joint-venture sur chaque tonne de cuivre et de cobalt en compensation de l’épuisement des gisements miniers, dit-il. Selon la loi congolaise, elles appartiennent à la compagnie minière d’Etat Gécamines (50 %) et à l’Etat congolais (50 %). »

Interrogé sur les retombées du projet Yabiso, Dan Gertler n’a pas répondu. Mais parmi tous ses actifs miniers en RDC, ce sont aux royalties de ses grands projets (Kamoto Copper Company, Mutanda et Metalkol) qu’il s’accroche. En février 2022, Ventora a signé avec l’Etat congolais un protocole d’accord qui lui reconnaît la propriété de ces royalties. Le nouveau président, Félix Tshisekedi, renonce à toute réclamation et promet même de soutenir la levée des sanctions en échange de la restitution de ses autres actifs miniers et pétroliers. La RDC s’engage en outre à verser à l’homme d’affaires 182 millions d’euros de compensation alors que les royalties pourraient lui rapporter jusqu’à dix fois plus, selon le CNPAV.

Le texte de ce premier accord est négocié dans le dos de Washington, qui ne le découvre qu’après signature. « Les autorités américaines n’ont pas caché leur mécontentement. Elles nous ont demandé de le renégocier, ce qui a retardé de plusieurs mois sa publication », raconte une source à la présidence congolaise. Les Américains sont d’autant plus surpris qu’ils pensaient pouvoir faire de Félix Tshisekedi un allié solide après avoir vu son prédécesseur, Joseph Kabila, se rapprocher de la Chine.

En septembre 2022, Joe Biden dépêche à Kinshasa son coordonnateur spécial pour les infrastructures et la sécurité énergétique, Amos Hochstein, pour faire entendre raison au chef de l’Etat. « Les Etats-Unis veulent voir une vraie lutte contre la corruption », insiste alors Amos Hochstein au cours d’une conférence de presse, citant nommément Dan Gertler. « Il nous faisait miroiter des gros investissements dans le cadre du corridor de Lobito et nous, on le rassurait en promettant de renégocier les contrats chinois et de mettre fin au monopole sur la chaîne d’approvisionnement », explique notre source à la présidence congolaise.

Depuis, Washington et l’Union européenne ont apporté leur soutien au corridor de Lobito, qui devrait coûter plus d’un milliard de dollars. Ce chemin de fer de 800 km entre la Zambie et l’Angola, dont plus de la moitié en RDC, devrait réduire certains trajets commerciaux de quarante-cinq jours à trente-six heures, et ainsi faciliter l’exportation des minerais. Pour se démarquer de la Chine, qui promet depuis vingt ans la construction d’infrastructures pharaoniques, les Occidentaux assurent que ce projet permettra l’émergence de nouveaux marchés grâce à des investissements et partenariats public-privé dans divers domaines : transformation des minerais, énergies renouvelables, agriculture, télécoms…

Risque de « controverse »

De son côté, Félix Tshisekedi a bien renégocié les principaux « contrats chinois », mais plutôt qu’une remise en cause du quasi-monopole de Pékin sur les minerais stratégiques de son pays, il a surtout obtenu une rallonge en cash de 2 milliards de dollars sur la mine de Tenke Fungurume, exploitée avec le groupe China Molybdenum, et près de 4 milliards de plus sur le projet Sicomines, développé avec China Railway et Sinohydro.

Ironie de l’histoire, à l’heure où Pékin menace l’approvisionnement occidental en minerais stratégiques, Amos Hochstein est devenu depuis un an l’un des principaux artisans des négociations avec le milliardaire israélien. « Il a fait valoir que les sanctions américaines contre Dan Gertler entraveraient les investissements occidentaux dans le secteur crucial des minerais congolais », explique Anneke Van Woudenberg, directrice de l’ONG Rights & Accountability in Development (RAID), tout en rappelant que « les trois mines pour lesquelles Dan Gertler perçoit des royalties sont pourtant déjà exploitées par des sociétés européennes, et non chinoises ». Mais c’est encore vers la Chine que cette production est exportée.

Pour Peter Pham, ancien envoyé spécial de Donald Trump dans la région des Grands Lacs, Dan Gertler reste un problème pour les Etats-Unis, « mais pas le problème dominant ». Il estime qu’il est « peu probable » qu’à quelques semaines de l’élection, l’administration Biden, avec la vice-présidente Kamala Harris dans la course, se permette d’alléger les sanctions contre l’homme d’affaires israélien, une décision qui « pourrait susciter une controverse ».

La meilleure voie pour les Etats-Unis serait, selon lui, de pousser leur allié congolais à transformer lui-même ses précieux minerais : « Nous voulons simplement que les minerais arrivent sur le marché et que nous y ayons accès, et il vaut mieux que nos amis africains s’emparent de la valeur ajoutée plutôt que de laisser la transformation se faire en Chine. »

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