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Entre ombre et lumière, les nouvelles cocasses et tragiques Florent Couao-Zotti

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La surprise est au rendez-vous de Comment tuer dix fois un criminel…, le nouveau livre de l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti. A commencer par ce titre qui, s’il fait escompter des nouvelles policières, correspond simplement au dernier texte d’un recueil qui en regroupe huit, très différents les uns des autres. L’auteur de Western tchoukoutou (Gallimard, 2018) et d’une quinzaine d’autres ouvrages propose ici, outre le polar et la comédie urbaine, un conte mystique, des chroniques du quotidien, une tragédie et même une dystopie.

Le recueil s’ouvre sur un mystérieux rituel auquel une femme se livre afin d’attirer sur elle la faveur des dieux. Lasse d’enfanter des enfants mort-nés, elle suit les directives d’un guérisseur très réputé mais aux exigences douteuses : « Pendant trente jours, il fallait donner à manger aux mendiants, aux nécessiteux, aux fous. Et dans la dernière semaine, elle-même, habillée de loques, devait errer au marché pour se faire mettre enceinte par un fou, un inconnu, au milieu de la foule. » La femme parviendra-t-elle enfin à donner naissance à un bébé viable ?

Dans Dantokpa, le marché éponyme de Cotonou se trouve personnifié. Réputé le plus vaste et le plus tortueux d’Afrique de l’Ouest, il fait la chronique de ses allées et arrière-boutiques dans un monologue intérieur.

Une autre nouvelle encore, Le Blues du chachacha, donne à voir en 1970 une femme modeste dansant sur l’hymne des indépendances popularisé par le Congolais Joseph Kabasele. « Le chanteur surfait sur les mélodies épicées et sa voix, vive et efféminée, évoluait en crescendo […] Et elle riait, heureuse de donner du sens au texte, le visage tourné vers le plafond, les yeux fermés. » Pendant quelques instants, le prêtre du quartier se joint à elle, oubliant son austérité pour céder malgré lui à l’appel de la danse, mais repartant fâché d’entendre les paroles de la chanson annonçant la fin de l’emprise coloniale.

Si l’ensemble du recueil peut sembler à première vue disparate, la langue de l’auteur, sa truculence savoureuse, son humour également, effacent cette impression pour la plus grande satisfaction du lecteur. On sent au fil des pages la joie qu’a pu éprouver Florent Couao-Zotti à suivre la piste de ses propres idées et à nous offrir ce plaisir en partage.

Second degré

A cette jouissance langagière s’ajoute celle des situations et des images, tour à tour tragiques ou cocasses, qui prennent à revers le lecteur en jouant parfois savamment sur ses nerfs. L’écrivain donne à voir un monde citadin, sensuel, bouillonnant, qui, s’il est sans aucun doute inspiré par la ville de Cotonou, pourrait se situer ailleurs en Afrique de l’Ouest. On circule avec lui depuis la surface du sol, inondé de soleil ou de pluie, jusqu’aux entrailles de la terre.

Dans l’une des nouvelles les plus impressionnantes de l’ensemble, Le Futur recomposé, l’auteur nous entraîne dans un avenir inquiétant où, après des années de féminicides systématiques, les femmes, devenues une rareté, sont pourchassées et violentées par la gent masculine. « Les statistiques l’avaient prévu depuis 2050 : il n’y aura plus de femmes d’ici l’an 2100 […] Il y a risque de grand déséquilibre. Aujourd’hui, on en est à une femme pour quinze hommes, en l’an 2100, on comptera une femme pour cent vingt-cinq mâles. »

Au début de la nouvelle, une jeune femme dont le déguisement masculin a été découvert se retrouve obligée de fuir des hommes réunis en meute. Pour y parvenir, elle devra se réfugier dans le plus répugnants des égouts.

Fantaisie dystopique ? Oui, si on décide de lire l’ensemble du recueil sous l’angle du second degré. Grâce à cette mise à distance, on percevra avant tout l’humour et l’excès des situations et on appréciera l’art de l’écrivain. Mais on peut aussi avoir une lecture plus sombre du livre et prendre chaque nouvelle comme emblématique d’un constat d’échec social plus global. Une lecture plus politique d’un monde où douceur et sentimentalité n’ont plus de place et où la brutalité – voire la bestialité – a remplacé les anciennes règles sociales.

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Un tableau non plus dystopique mais apocalyptique, en somme. Mais Florent Couao-Zotti ne se prononce pas vraiment et garde ouverte cette double lecture, nous laissant tirer nos propres conclusions. Pirouette d’un écrivain talentueux.

Comment tuer dix fois un criminel…, de Florent Couao-Zotti, 122 pages, éd. Continents, Lomé (Togo), 5 000 francs CFA.

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