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« Il faut reconstruire en Algérie la confiance perdue entre l’Etat et les citoyens »

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Soufiane Djilali est président du parti d’opposition Jil Jadid (« Nouvelle génération ») qui avait en avril invité – en vain – le président Abdelmadjid Tebboune à « renoncer » à une candidature à sa réélection. Au lendemain du scrutin du 7 septembre, à l’issue duquel M. Tebboune a été reconduit avec un taux de participation historiquement bas (23 %), M. Djilali appelle dans un entretien au Monde Afrique le pouvoir à « sortir des faux-semblants » sous peine de risquer un « effondrement de l’autorité publique ».

Quel bilan tirez-vous du scrutin présidentiel marqué par la victoire du président sortant Abdelmadjid Tebboune et une abstention record ?

A mes yeux, le scrutin montre que la démocratie est en échec en Algérie à défaut de signer l’échec de la démocratie en soi. Dès le départ, le processus avait été mal construit. Les graves émeutes de 1988 avaient sonné le glas pour le parti unique [le FLN] mais il n’y a pas eu d’ouverture démocratique bien réfléchie. C’était spontané, sans grande réflexion sur la suite. Et, dans la foulée, il y a eu ce dévoiement par des courants politiques qui, à l’évidence, n’avaient pas la culture de la démocratie.

Je parle là du Front islamique du salut (FIS), le courant islamiste radical, qui pensait se saisir de cette opportunité pour prendre le pouvoir et imposer une théocratie, et non une démocratie. Après dix années de terrorisme, une grande partie de la population, mais plus encore les institutions, en ont retiré un traumatisme qui n’en finit pas. D’où cette volonté permanente de contrôler le processus électoral pour éviter un nouveau dérapage. Finalement, cela a causé le malheur de cette tentative de démocratisation.

L’Algérie se trouve-t-elle à un tournant ?

Nous arrivons en effet à un point de bifurcation. Au-delà du mandat du président actuel, c’est vraiment un cycle qui se clôt. Les Algériens ne comprennent plus le système politique dans lequel ils vivent. La représentation politique, avec des partis qui existent sur le papier, n’est plus réelle, n’est plus fiable, ne remplit pas son rôle. En conséquence, on a des institutions sans âme. On ne peut plus continuer à entretenir cette fausse représentation politique juste au nom de la stabilité de l’Etat.

Tout cela n’est qu’une façade démocratique d’un système qui n’est ni dictatorial, ni démocrate, ni libéral. On ne sait pas ce qu’il est réellement. Il n’est plus possible de perdurer comme ça. On ne peut pas développer un pays si la population n’adhère pas à un projet. Il y a ni la légitimité de la réussite économique, ni la légitimité démocratique. On est coincés. Nous tentons une démocratie mais, dans le fond, le traumatisme des années 1990 interdit de franchir le pas. On ne sait pas où on va.

C’est à l’image de la société algérienne elle-même. L’Algérie, en gros, sort d’une société traditionnelle, mais elle n’a aucune idée de ce qu’est la modernité dans le sens profond du terme. Elle est en errance. C’est notre drame. A un moment, il faut bien affronter notre réalité et cesser d’essayer de construire sur des illusions.

Comment en sortir ?

Pour moi, d’abord, il n’y a pas lieu de faire une révolution. L’Algérie est prête pour une évolution, pas pour une révolution. Et pour ce faire, il faut que ce qu’on appelle le « système » prenne très largement conscience que les modalités de fonctionnement du pouvoir ne sont plus viables. Il faut réellement engager une transformation de fond.

Le président de la République devrait songer à amener le pays vers de vraies réformes. Il lui faut ouvrir une concertation très sérieuse avec l’opposition, mais aussi avec des personnalités diverses, technocratiques ou politiques, pour proposer ensuite de reconstruire quelque chose de viable, une représentation politique réellement à même de répondre aux besoins des Algériens.

Dans votre communiqué du 10 septembre, vous appelez à trancher entre deux options : construire « une vie politique saine en éliminant les scories du passé » ou « proclamer la dictature et l’assumer » . Qu’entendez-vous par là ?

C’est une façon d’interpeller et de provoquer les consciences. Le sens de ce communiqué, c’est d’appeler à sortir des faux-semblants, de cette réalité faussée. Soit on s’entend sur des règles du jeu claires pour tout le monde et on assume la démocratie. Ou alors qu’on nous dise clairement qu’il n’y a plus de démocratie et qu’il faut aller vers un autre système. Mais cet autre système n’est pas possible.

Vous faites référence à la dictature ?

Bien sûr que ce n’est pas possible.

Vous parlez souvent de « dépérissement moral de l’Etat » ou de « menace » pesant sur « la sécurité de l’Etat ». Qu’entendez-vous par là ?

C’est clair, si le lien n’est pas maintenu de façon sérieuse entre les gouvernants et les gouvernés, il y aura tôt ou tard une forme de dilution d’autorité. Et ce n’est bon pour personne.

Vous semblez avoir durci vos critiques contre M. Tebboune à l’égard duquel nous n’aviez pas été aussi sévère initialement…

J’ai été très compréhensif au début du mandat du président. Il fallait lui donner sa chance. Mais petit à petit, il a pris des décisions qui me semblaient toujours rejoindre l’ancienne méthode, l’ancienne mentalité, qui allaient nous ramener au même phénomène de rejet général. Il n’y a pas eu la régénération attendue, il n’y a pas eu l’accomplissement de la promesse du Hirak.

Il faut quand même rappeler que le 8 mars 2019 treize millions d’Algériens sont descendus dans les rues. Il y avait un espoir qui avait soulevé tout le pays. Je comprends bien qu’on ne pouvait honorer cette promesse sous forme de révolution afin de ne pas tomber dans les travers des printemps arabes devenus des hivers arabes. Mais encore fallait-il engager de vraies réformes. Or, ces réformes-là, personnellement, je ne les vois pas, d’où ma prise de distance.

Il y a aujourd’hui environ deux cent cinquante prisonniers d’opinion en Algérie. Le champ médiatique et le débat public sont sous tutelle. Appelez-vous à restaurer les libertés publiques ?

Les libertés doivent être restituées, les prisonniers d’opinion relâchés, les médias libérés, le code électoral réformé. On ne peut pas construire quelque chose de viable sur une pensée unique. Il faut qu’il y ait une vraie dialectique entre le pouvoir et la société. Il faut donc laisser la possibilité de critiquer, de proposer, de refuser. Il est absolument nécessaire d’ouvrir le champ médiatique afin que les gens réagissent en toute sérénité, qu’ils cessent d’avoir peur.

Bien sûr, les excès de langage ne sont pas souhaitables. Tout le monde a tiré la leçon des diffamations et des insultes qui avaient pu surgir en marge du Hirak et qui ne concourent pas à l’intérêt du pays. L’Algérie doit maintenant renouer avec la vérité, sa vérité, rassembler ses enfants patriotes, réorganiser ses institutions et reconstruire la confiance perdue entre l’Etat et ses citoyens. Dans le cas contraire, l’effondrement de l’autorité publique devant des citoyens désabusés sera fatal.

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