Les habitants de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) verront-ils un jour passer la justice pour les trente années de crimes de masse qui ont ravagé la région ? Ce n’est sans doute qu’une première étape, mais Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a annoncé, lundi 14 octobre, la « réactivation » de ses enquêtes sur les crimes commis depuis le 1er janvier 2022 dans le Nord-Kivu.
En mai 2023, les autorités congolaises avaient saisi la CPI des crimes commis depuis cette date par le Mouvement du 23-Mars (M23) et les Forces rwandaises de défense (RDF). S’ils sont autorisés à saisir la cour, les Etats membres ne peuvent en revanche pas décider des cibles du procureur. Karim Khan a donc précisé que ses enquêtes viseront « tous les auteurs présumés » de crimes qui sont « liés à des schémas récurrents de violence et d’hostilités dans la région ».
Il y a vingt ans, la RDC avait saisi la CPI une première fois. Les investigations concernaient alors les crimes commis en Ituri et avaient conduit à l’émission de mandats d’arrêt contre six individus. Depuis, l’un d’entre eux a été acquitté, un deuxième a obtenu un non-lieu, un autre est toujours en fuite et trois ont été condamnés, dont l’un des chefs et fondateurs du M23, le général Bosco Ntaganda, qui purge une peine de trente ans de prison pour des crimes précédant la création de cette milice, en 2012.
Coopération judiciaire
En saisissant la CPI, le pouvoir congolais vise le M23, mais aussi et surtout son parrain rwandais, qui, depuis janvier, s’est emparé de larges territoires dans la région minière du Nord-Kivu. Selon un rapport du groupe des experts de l’ONU sur la RDC remis au Conseil de sécurité début juin, le contrôle « de facto » des forces rwandaises sur le M23 rend Kigali « responsable des actes » de la milice. Le Rwanda n’est pas membre de la CPI, créée en 1998 par le Statut de Rome qu’il n’a pas ratifié. Les ressortissants rwandais ne sont néanmoins pas exemptés : la cour peut en effet poursuivre les auteurs de crimes commis sur le territoire d’Etats qui en sont membres, comme c’est le cas de la RDC.
Mais avant de définir les cibles, le procureur entend mettre en place sa méthode. Dans son communiqué, Karim Khan indique privilégier « une approche à deux voies » : d’un côté l’enquête de la CPI, désormais « réactivée », et de l’autre le soutien à la justice congolaise. Pour ce faire, Karim Khan s’était rendu à Kinshasa en juin 2023 afin de signer un accord de coopération judiciaire. Le procureur espérait alors engager à ses côtés les autorités congolaises et la communauté internationale. « Nous devons impérativement œuvrer main dans la main avec les parties prenantes clés, dont l’Union africaine et des organisations régionales et internationales », disait-il.
L’accord prévoit notamment l’accès de la justice congolaise à certains éléments de preuves lorsqu’ils ne sont pas couverts par la protection accordée aux témoins de la CPI. Il prévoit aussi « un appui technique » aux poursuites. Mais nul ne sait pour l’instant si les futurs procès se tiendront en RDC ou à La Haye, aux Pays-Bas. Karim Khan a salué la création récente d’un comité de pilotage en RDC qui sera chargé d’établir une Cour pénale spéciale. Mais depuis vingt ans, l’idée de mettre sur pied une telle juridiction a été régulièrement évoquée par des ONG, des avocats, l’Union européenne ou les Etats-Unis, sans jamais aboutir.
« Notre objectif ultime est une stratégie de justice transitionnelle à long terme, durable et viable en RDC, que la CPI et la communauté internationale peuvent à la fois soutenir et dont elles peuvent tirer des leçons », indique Karim Khan dans le communiqué diffusé lundi.
Idem en Côte d’Ivoire ?
Le procureur entend faire de la cour un « hub » de la justice internationale, son bureau possédant l’expertise et un matériel pointu d’analyse de preuves. Il veut soutenir la reconstruction judiciaire d’après-guerre pour permettre aux Etats de juger les auteurs des crimes de masse devant leurs propres tribunaux et mettre ainsi fin à l’impunité, objectif ultime de la CPI.
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S’engagera-t-il dans un projet similaire en Côte d’Ivoire ? Le procureur adjoint, Mame Mandiaye Niang, a récemment expliqué que le second volet de l’enquête sur les crimes commis en 2010 et 2011, visant la rébellion à l’époque favorable au président Alassane Ouattara, se poursuivra jusqu’à l’émission de mandats d’arrêt. Après quoi les suspects pourront être jugés soit à Abidjan, soit à La Haye.
Mais pour que la CPI se dessaisisse en faveur d’un pays, celui-ci doit démontrer que des poursuites sont engagées contre les mêmes personnes et pour les mêmes faits. Or les accords d’amnistie passés en Côte d’Ivoire pourraient empêcher un renvoi des affaires vers Abidjan.