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La double peine des survivantes de Boko Haram

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Pour les rescapées de Boko Haram, la liberté a un goût amer. Après avoir été soumises pendant des années à quantité d’abus et d’agressions, celles qui sont parvenues à fuir l’organisation djihadiste endurent désormais la violence des autorités nigérianes. Enlevées dans l’enfance pour la plupart, ces femmes sont les grandes sacrifiées de la politique de pacification menée par l’Etat, souligne un rapport d’Amnesty International publié lundi 10 juin.

Depuis 2021 et la mort du leader du mouvement Abubakar Shekau, les combattants de Boko Haram sont encouragés à déposer leurs armes en rejoignant deux centres de transit construits dans l’Etat du Borno, dans le nord-est du Nigeria. Pour les convaincre, les autorités leur promettent une amnistie, mais aussi de retrouver leurs « épouses ». Certaines avaient réussi à s’enfuir pour se réfugier dans le camp de déplacés de Bama où vivent 16 000 personnes qui ont fui les combats, selon l’Unicef.

YA, une jeune femme mariée de force à deux reprises à des combattants de Boko Haram, raconte, comme d’autres, avoir été contrainte de rejoindre son « mari » dans le camp du Hajj. L’ONG révèle par ailleurs qu’une vingtaine d’unions forcées entre d’anciens guérilleros et des rescapées ont été scellées dans ces camps, avec le soutien du ministère des affaires féminines nigérian afin d’« apaiser les combattants de Boko Haram ».

Maltraitées par des militaires

« Les femmes et les filles sont invisibilisées dans le processus de pacification. Toute l’attention des autorités est portée sur les anciens combattants de Boko Haram. Les survivantes sont perçues comme des épouses, mais pas comme des victimes », regrette Niki Frederiek, autrice de l’enquête.

Le rapport révèle ainsi des actes de maltraitances commis par des militaires, notamment dans des casernes où certaines survivantes ont d’abord été détenues illégalement avant de rejoindre les centres de transit. « Quand les soldats nous apportaient à manger, ils nous donnaient une portion dans la main et un seul bol de soupe à partager pour tout le monde. Pour les toilettes, ils nous donnaient un sac en plastique », rapporte NV, 20 ans dont huit années passées en captivité. Après s’être échappée, elle dit avoir été maintenue en détention illégale par l’armée nigériane à Madagali, dans l’Etat d’Adamawa, pendant deux mois.

Cibles du pouvoir car « épouses de combattants », ces survivantes ont d’abord connu la captivité car « femmes ». Dans l’économie du groupe djihadiste fondé en 2002, les filles enlevées servent d’esclaves sexuelles aux militants et comme chair à canon dans les attentats-suicides.

Traquées jusque dans les écoles laïques que les islamistes considèrent comme impures à cause de l’éducation jugée « occidentale » qui y est dispensée, les filles sont la cible de rapts massifs, quand les garçons sont souvent enrôlés. En avril 2014 à Chibok, 276 lycéennes ont été enlevées puis mariées de force. Aujourd’hui encore, 82 d’entre elles sont toujours portées disparues.

Enracinement des groupes djihadistes

« Ils sont entrés de maison en maison, puis nous ont entassées. Nous étions une centaine. J’avais 6 ans. Au bout de deux ans, ils nous ont toutes mariées », témoigne sous couvert d’anonymat dans le rapport, SD, enlevée en 2015 alors que le mouvement armé était en pleine expansion. A l’époque, les membres de Boko Haram font preuve d’une cruauté extrême contre ceux qu’ils perçoivent comme des mécréants. Sur leur passage, ils commettent assassinats, pillages, viols. Des « crimes de guerre et des crimes contre l’humanité », selon Amnesty International. Pour les femmes enlevées, la terreur se vit au quotidien.

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Lors de ses dix années de captivité, GH a confié avoir été forcée d’assister à des châtiments. « Parfois, je rêve des cadavres ou de la lapidation des femmes que j’ai vus. Une fois que j’ouvre les yeux, je ne peux plus me rendormir », a-t-elle déclaré aux enquêteurs d’Amnesty.

En dépit de la mort d’Abubakar Shekau lors d’affrontements avec une faction rivale affiliée à l’organisation Etat islamique (Iswap), la guerre contre Boko Haram se poursuit. Le mouvement, désormais scindé en deux, s’est réorganisé. « L’organisation djihadiste de Shekau (JAS) maintient ses groupes de guérilla dans les zones montagneuses à la frontière Cameroun-Nigeria et dans le nord du lac Tchad. Elles y combattent leurs rivaux de l’Iswap. Ces rébellions, qui comptent chacune plusieurs milliers d’hommes, se sont enracinées dans les zones rurales du Borno avec un modèle économique stabilisé fondé sur l’impôt », explique le chercheur au CNRS Vincent Foucher.

Crimes impunis

Oubliées des politiques de réintégration, les anciennes captives de Boko Haram doivent également affronter un système judiciaire qui protège leurs agresseurs. Beaucoup de celles qui se sont remariées après avoir fui le groupe djihadiste évoquent le harcèlement de leur ancien « mari » combattant. « Nous sommes allés au tribunal pour la première fois. Ils m’ont demandé de retourner auprès de mon premier mari. J’ai dit non, témoigne GN, poursuivie par son ex-conjoint devant une cour islamique. Le tribunal a dit que je devais payer 100 000 nairas [220 dollars américains à l’époque]. Mon nouveau mari a dit que nous n’avions pas ce genre d’argent ».

Dans un pays traumatisé par la vague d’attentats-suicides des années 2010, ces femmes sont également l’objet d’une forte stigmatisation sociale et peinent à accéder aux soins médicaux. « L’Etat les a abandonnées, or elles sont traumatisées pour toutes ces atrocités vues et subies. Beaucoup ont été blessées lors des bombardements de l’armée. Certaines sont estropiées, d’autres grandes brûlées. La plupart ont des infections sexuellement transmissibles, alerte Niki Frederiek. Elles demandent aux autorités de les aider à reconstruire leur vie. Elles veulent pouvoir s’autonomiser financièrement afin d’élever leurs enfants nés des viols. Beaucoup souhaitent reprendre l’école dont elles ont été privées. »

Les survivantes réclament également justice. En une décennie d’insurrection, les crimes commis par Boko Haram sont restés impunis dans leur grande majorité. Comme ceux perpétrés par l’armée nigériane, responsable de milliers de morts. Dans une réponse datée du 22 avril 2024 et destinée aux auteurs du rapport, l’armée nie toutes les allégations de violation des droits humains. Elle a par ailleurs qualifié les « sources » d’Amnesty International, qui étaient principalement des survivantes, de « non fiables par nature ».

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