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l’ANC se taille la part du lion

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C’était probablement la plus attendue de ce que les Sud-Africains appellent depuis la pandémie de Covid-19 leurs « réunions de famille ». Dans une adresse à la nation, dimanche 30 juin, le président Cyril Ramaphosa a annoncé la composition de son nouveau gouvernement. Après la gifle essuyée par le Congrès national africain (ANC) à l’issue des élections du 29 mai, il fait entrer de plain-pied le pays dans l’ère des coalitions : le parti, qui a perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, est contraint de partager le pouvoir pour la première fois depuis la fin de l’apartheid.

Sur les dix-huit formations représentées au Parlement, dix se sont finalement ralliées à son appel à former un « gouvernement d’union nationale ». « La mise en place du gouvernement d’union nationale sous sa forme actuelle est sans précédent dans l’histoire de notre démocratie », a rappelé Cyril Ramaphosa, saluant la faculté des partis à avoir trouvé un accord « en si peu de temps ». Face à une situation inédite, il aura en effet fallu à peine un mois aux forces en présence pour s’entendre, quand des démocraties rompues à l’exercice des coalitions mettent parfois plus de six mois pour y parvenir.

Poids lourd de cette coalition, l’opposant historique de l’ANC, l’Alliance démocratique (DA), hérite de six ministères. Le dirigeant du parti de centre droit qui plaide pour des réformes libérales, John Steenhuisen, prend les commandes du ministère de l’agriculture, amputé toutefois de l’épineux dossier de la réforme agraire. Le parti dirigera également le puissant ministère de l’intérieur, chargé notamment de la politique d’immigration.

« Sortir des ténèbres »

En avril, l’Alliance démocratique promettait de « sortir des ténèbres » cette administration dysfonctionnelle où plus de 90 000 demandes de visas sont en attente depuis des mois, parfois des années, au grand dam des investisseurs étrangers. La DA sera également chargée de l’éducation, de l’environnement, du ministère des travaux publics et de celui de la communication. Il met enfin le pied dans la porte des très influents ministère des finances et ministère de l’électricité et de l’énergie avec des postes de ministres adjoints (secrétaires d’Etat).

« La DA est fière de relever le défi et de prendre place, pour la toute première fois, au sein du gouvernement national, où nous pourrons amener notre expérience d’excellence en matière de gouvernance, de tolérance zéro à l’égard de la corruption et d’élaboration de politiques pragmatiques fondées sur les résultats », s’est réjoui son chef, John Steenhuisen, dans un communiqué.

Le parti est toutefois loin d’avoir obtenu tout ce qu’il désirait. Compte tenu de son score aux élections (21,8 % des voix), il espérait décrocher au minimum huit portefeuilles ministériels. Et s’il était acquis que le ministère des finances resterait dans le giron de son actuel occupant, Enoch Godongwana, dont le sérieux est salué, la formation convoitait le ministère du commerce et de l’industrie.

Cyril Ramaphosa, qui avait accédé à cette demande, est finalement revenu sur cette concession. Le ministère, chargé notamment des mesures économiques destinées à corriger les inégalités héritées de l’apartheid, est un portefeuille particulièrement sensible pour l’ANC alors que l’Alliance démocratique s’oppose aux politiques de discriminations positives portées par le parti de libération de l’Afrique du Sud.

Courrier « condescendant »

Plusieurs moments de tension ont ainsi émaillé les négociations dont les dessous se sont étalés sur les réseaux sociaux au gré des fuites. L’Alliance démocratique a notamment irrité l’ANC en exigeant que les directeurs généraux des ministères dont elle aurait la responsabilité soient choisis par ses soins, de peur que le personnel issu du parti de libération ne fasse « obstruction » à sa gestion. Une requête formulée dans un courrier jugé « offensant » et « condescendant » par Cyril Ramaphosa, qui accusait en retour la DA de vouloir mettre en place « un gouvernement parallèle ».

Au-delà de son score aux élections législatives, l’Alliance démocratique disposait d’un second levier dans les négociations. Dans les provinces de Johannesburg et de Durban, les deux plus riches d’Afrique du Sud, elle est désormais un allié nécessaire au Congrès national africain au sein des gouvernements provinciaux. Mais le parti de Cyril Ramaphosa est parvenu à déplacer le rapport de force en ralliant neuf autres partis aux négociations pour la formation du gouvernement d’union nationale.

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Grâce à eux, même en cas de rupture avec l’Alliance démocratique, l’ANC serait encore à la tête d’une alliance rassemblant 201 sièges sur les 400 que compte l’Assemblée nationale, soit tout juste le nombre de voix requises pour faire adopter des lois. La majorité de ces alliés secondaires, dont certains ne comptent qu’un ou deux sièges parlementaires, ont été chouchoutés par l’ANC qui a octroyé des postes de ministres ou ministres adjoints à sept d’entre eux.

« Représentatif du peuple sud-africain »

A la tête de l’Alliance patriotique, parti de défense de la minorité coloured (métisse) qui a recueilli à peine 2 % des voix aux élections, l’ancien membre de gang repenti Gayton McKenzie devient ainsi ministre des sports et de la culture. A l’opposé du spectre politique, le dirigeant du parti afrikaner Freedom Front Plus (1,3 % des voix), Pieter Groenewald, prend la tête des services carcéraux. Un large éventail qui a permis à Cyril Ramaphosa de vanter un gouvernement « représentatif du peuple sud-africain ».

Rompu à l’art de la négociation, le chef de l’Etat avait joué un rôle clé dans les discussions vers une transition démocratique à la fin de l’apartheid. Trente ans plus tard, il constitue habilement un gouvernement qui permet à l’ANC de garder la main haute sur le pouvoir en dépit d’inévitables concessions après sa débâcle électorale. Finances, affaires étrangères, justice, défense, police : le parti conserve les portefeuilles les plus puissants, ainsi que la vice-présidence.

Dans un courrier adressé à John Steenhuisen le 25 juin, Cyril Ramaphosa reprochait à l’Alliance démocratique de « détourner l’attention de l’intérêt national » en cherchant à obtenir un nombre de postes proportionnel à son score dans les urnes. Le président ne s’est pas embarrassé de telles considérations pour les siens. L’ANC, qui n’a rassemblé que 40 % des voix au scrutin de mai, conserve plus de 60 % des ministères au sein d’un gouvernement pléthorique qui en compte trente-deux.

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