Il a brandi la photo du document sur les réseaux sociaux, tel un trophée, symbole d’une petite victoire dans sa lutte contre l’Occident. « En réponse à la procédure de déchéance de ma nationalité commise par la Françafrique contre ma personne, le général révolutionnaire et visionnaire Abdourahamane Tiani, chef de l’Etat du Niger, a décidé de m’octroyer le passeport diplomatique », a annoncé Kemi Seba, dimanche 4 août, sur le réseau social X.
Déchu de sa nationalité française début juillet après avoir été condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale, le suprémaciste noir béninois, président de l’ONG Urgences panafricanistes, est désormais « conseiller spécial » du chef de la junte qui a pris le pouvoir à Niamey lors d’un coup d’Etat le 26 juillet 2023.
Lui qui s’était fait filmer quatre mois plus tôt en banlieue parisienne en train de brûler ce qu’il affirmait être son passeport français affiche volontiers sa proximité avec les adversaires de Paris en Afrique. A commencer par le général Tiani, qui, après avoir été le chef de la garde présidentielle, a été l’artisan de la chute de Mohamed Bazoum, dernier fidèle allié de Paris au Sahel. Qualifié par Kemi Seba de « marionnette de la Françafrique » dans une vidéo publiée début juin sur sa page Facebook, le chef d’Etat déchu reste séquestré dans un appartement du palais présidentiel avec son épouse.
Billet brûlé
Réputé pour ses prises de position anti-occidentales, Kemi Seba a acquis une popularité en Afrique en 2017, après avoir brûlé en public un billet de 5 000 francs CFA à Dakar. Expulsé du Sénégal puis de la Côte d’Ivoire, il continue depuis de voyager là où l’influence occidentale recule… en même temps que progresse celle de Moscou.
Le Béninois est une des cartes du jeu d’influence que mène la Russie sur le continent. Certaines de ses opérations en Afrique ont été financées à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par le groupe de sécurité russe Wagner, selon des révélations du magazine Jeune Afrique, de la chaîne Arte et du quotidien allemand Die Welt. Ses objectifs : organiser des manifestations anti-occidentales, identifier et soutenir les associations et personnalités locales enclines à relayer la propagande russe dans leur pays au moment le plus opportun.
La disparition du patron de Wagner, Evgueni Prigojine, dans le crash de son avion, en août 2023, ne semble pas avoir eu de conséquence sur les affaires de Kemi Seba. Ces deux dernières années, il a été reçu successivement par les chefs des juntes malienne, burkinabée et nigérienne, qui ont toutes chassé les soldats et les ambassadeurs français et se sont rapprochées de la Russie.
Ainsi, Kemi Seba s’est rendu au Niger à deux reprises depuis le putsch du général Tiani. Une première fois fin septembre 2023. Au lendemain de l’annonce par le président Emmanuel Macron du retrait des troupes françaises du pays, le polémiste atterrit à Niamey. Aux abords de la base militaire française, il harangue les foules pour dire son « soutien au CNSP » (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, l’organe dirigeant de la junte) et « non à la Françafrique ».
Les soldats français évincés du Niger, Kemi Seba revient en mai, cette fois à l’occasion du début du retrait des militaires américains (qui ont achevé leur départ le 5 août). Une centaine de paramilitaires russes de l’Africa Corps (ex-Wagner) avaient débarqué à Niamey quelques semaines plus tôt. « Toute force politique qui résistera au néocolonialisme sera une force que les panafricanistes soutiendront », répète-t-il alors à la télévision nationale.
Propos fantasques
L’ancien chef de la Tribu Ka, groupuscule ouvertement antisémite et ségrégationniste dissout par les autorités françaises en 2006, accuse au passage Paris de chercher à déstabiliser le Niger depuis son pays d’origine, le Bénin. Renié par la France, Kemi Seba n’est pas non plus en odeur de sainteté là-bas. « Elle fait rire, cette accusation de cet activiste », s’est moqué Wilfried Houngbédji, le porte-parole du gouvernement béninois, lors d’un point presse le 22 mai, tout en l’accusant de vouloir « provoquer la déstabilisation » du pays.
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Car les propos de Kemi Seba, jugés fantasques par le Bénin comme par la France, sont à l’origine d’une brouille diplomatique qui persiste depuis de longs mois entre Niamey et Porto-Novo. La junte refuse en effet de rouvrir sa frontière commune avec son voisin, bloquant l’exportation du pétrole brut des puits nigériens jusqu’au port béninois de Sèmè-Kpodji.
Surfant sur les crises diplomatiques au Sahel, Kemi Seba reprend le discours développé à maintes reprises par son nouveau patron, le général Tiani. Dans une interview accordée à la télévision d’Etat le 3 août, ce dernier a récidivé en accusant des espions français chassés du pays de « livrer […] du matériel militaire aux terroristes de Boko Haram et Iswap », deux groupes djihadistes, en vue de permettre à Paris de concrétiser sa « volonté maladive de déstabiliser le Niger ». Et ce avec la complicité du Bénin, qui, comme l’a déjà affirmé la junte sans apporter la moindre preuve, abriterait des bases françaises.
La même rhétorique, sans éléments probants apportés jusqu’ici, avait été déployée au Mali et au Burkina par les régimes militaires, leurs alliés russes et leurs relais. Parmi ces derniers, Kemi Seba, qui s’est rendu à Bamako en juin 2023, lorsque les casques bleus étaient poussés vers la sortie par le régime du colonel Assimi Goïta ; puis, un an plus tard, à Ouagadougou, où les « Bears », un nouveau groupe paramilitaire lié au ministère russe de la défense, venaient de débarquer pour protéger le pouvoir de plus en plus chancelant du capitaine Ibrahim Traoré.