Impossible de les rater à Dakar. Des 4×4 et des SUV rutilants, flambant neufs, garés à l’ombre de belles villas des quartiers cossus de Fann ou Mermoz, parqués à hauteur des boîtes de nuit des Almadies le week-end ou lancés en journée dans la circulation dense, à touche-touche avec des voitures bien plus modestes et parfois en mauvais état.
« La voiture, c’est devenu le moyen de distinction sociale par excellence », explique Moustapha Seye, socio-anthropologue à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN). « A Dakar, on peut voir des maisons qui ne sont pas finies, mais dans le garage il y a une voiture impec’ et récente dont le prix permettrait de finir les travaux », abonde en souriant Pathé, un amateur et propriétaire de belles voitures qui n’a souhaité donner que son prénom.
Un concessionnaire dakarois, qui cultive la discrétion comme beaucoup de ses confrères, précise : « Le style 4×4, c’est ça que les gens cherchent. C’est LE truc de la bourgeoisie. » Selon lui, l’explication est assez simple : « Vous avez vu l’état des routes ? Graviers, dos d’âne, nids-de-poule, trottoirs très hauts pour se garer… Une belle berline basse ne tient pas longtemps en bon état ici. » Conséquence : nombre de concessionnaires et revendeurs de la capitale sénégalaise sont pleins de véhicules tout-terrain aux allures massives.
Au Point E, quartier huppé de Dakar, il faut montrer patte blanche pour entrer chez Kama Automobiles. Ici, les prix de ces voitures de luxe montent jusqu’à plus de 200 millions de francs CFA (soit un peu plus de 300 000 euros) dans un pays où le salaire mensuel moyen gravite entre 70 000 et 110 000 francs CFA (entre 107 et 168 euros). Ce que les clients cherchent ? « Une bonne climatisation, une boîte automatique parce que c’est pratique dans les embouteillages… et du luxe », résume Gilbert Diouf, le propriétaire. Chez Mansour Motors, aux Almadies, autre quartier privilégié, un employé s’improvise sociologue : « Quant aux femmes, elles adorent le Mercedes classe GLE. » Là encore, un véhicule haut sur roues.
« Bling-bling »
Beaucoup de Dakarois aisés ne possèdent pas une, mais plusieurs voitures. « Un bon client, c’est quelqu’un qui a un SUV pour la semaine, une voiture qu’il a achetée à sa femme et un joujou pour le week-end ou les soirées, style Mercedes-Maybach, Brabus ou Audi A8 », devise un revendeur. Pathé confirme : il ne sort sa Porsche que pour aller en boîte de nuit ou en villégiature sur la Petite Côte, portion de littoral prisée des touristes au sud de Dakar. « Avec les nouvelles autoroutes dépourvues de radars, on peut aussi pousser le moteur, décrit-il. Mais le top, c’est d’avoir un chauffeur en semaine, pour se faire conduire en SUV, et de piloter soi-même sa sportive, son 4×4 de luxe ou son allemande le week-end. »
Ici et là, particulièrement le samedi soir à proximité des lieux de sortie, on peut croiser dans la capitale différents modèles originaux, rares voire grand luxe : Mustang, Bentley, Rolls Phantom… « Ces voitures sont achetées directement ou via des revendeurs à Dubaï, aux Etats-Unis ou en Allemagne », explique Yannick, très jeune et déjà bien renseigné, qui anime sur Instagram une page consacrée aux voitures luxueuses de Dakar (lui aussi n’a pas souhaité donner son nom) : « Si tu es haut fonctionnaire, tu essaieras de rester sobre. Si tu es entrepreneur ou fils de haut fonctionnaire, c’est ouvert à plus bling-bling. »
La presse quotidienne relate les acquisitions de personnalités, comme les fils de la star nationale Youssou Ndour ou du chanteur Wally Seck, dont on sait qu’il a un temps roulé en Bentley. Des grosses fortunes offrent parfois des véhicules d’exception aux marabouts, les nombreux chefs religieux de l’islam confrérique sénégalais. Au sein de la bourgeoisie et de la jeunesse dorée, on se partage des anecdotes sur le virus automobile qui ne cesse de faire des victimes. Untel a déjà fait venir un mécanicien d’Europe pour un modèle que personne ne prenait en charge à Dakar, un autre est tombé en panne quelques jours après l’achat d’un véhicule hors de prix et complètement inadapté au diesel local…
« Les goûts de la bourgeoisie déteignent sur le reste de la société », remarque Moustapha Seye. Si beaucoup de Dakarois circulent encore en bus indiens Tata, dans les célèbres « cars rapides » colorés ou sur des petites motos de 125 cm3, les voitures particulières se multiplient à mesure qu’une classe moyenne éclôt. Les importations et immatriculations augmentent d’année en année, assure un fonctionnaire des douanes. Les derniers chiffres officiels publiés remontent à 2018 : 34 000 véhicules immatriculés, contre 31 000 l’année précédente.
La Ford du président
Les SUV abordables ou d’occasion, dont les lignes rappellent les grandes marques et modèles emblématiques du genre, ont souvent la cote. Le magazine sénégalais Déclic Car, consacré à l’automobile, évoquait dans un édito de 2023 une « SUV-ification du marché sénégalais ». Selon le groupement des concessionnaires agréés, la meilleure vente de 2023 est un SUV : le Toyota Prado. Le président Bassirou Diomaye Faye a lui aussi choisi ce genre de modèle : l’ancien inspecteur des impôts a acquis en 2022 un Ford Explorer Platinum d’occasion qui lui a coûté 19 millions de francs CFA (environ 29 000 euros).
« Depuis une vingtaine d’années, la tendance à marquer le prestige social par l’automobile est claire. Des gens dépensent des sommes importantes par rapport à leurs revenus pour leur véhicule », indique Moustapha Seye. Au Sénégal comme ailleurs, l’automobile est plus qu’un moyen de locomotion. Une « culture voiture » s’est installée. Depuis une petite décennie, Déclic Car propose aux lecteurs des informations, des essais et des cotes. Sur Instagram, les comptes spécialisés pullulent.
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Yannick, le jeune animateur d’un de ces comptes, s’enthousiasme. Lui et ses amis, pour certains à peine sortis du lycée, se sont donné rendez-vous sur la piste de l’ancien aéroport de Yoff, en plein cœur de la capitale. Certains viendront avec des Subaru d’occasion customisées par leurs soins. D’autres, bien nés, paraderont en Porsche. Les bons pilotes tenteront des « drifts ». Le tout sous les objectifs de leurs camarades, qui s’empresseront de poster les images sur les réseaux sociaux.
Sommaire de la série « L’Afrique des riches »