L’Erythrée, le pays où même le football n’existe plus

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C’est une absence à laquelle le monde du football a fini par s’habituer. Pendant que les 53 nations africaines affiliées à la Fédération internationale de football (FIFA) disputeront, entre le 5 et le 11 juin, les 3e et 4e journées des qualifications pour la Coupe du monde 2026, l’Erythrée restera une nouvelle fois hors des stades. La Fédération d’Erythrée avait annoncé le forfait des Red Sea Boys quelques jours avant un déplacement au Maroc en novembre, sans fournir d’explications. Sans surprise, l’instance n’a pas inscrit la sélection nationale pour les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2025.

La dernière apparition des footballeurs érythréens sur la scène continentale remonte au 25 janvier 2020. Ce jour-là, l’équipe nationale s’était inclinée au Cicero Stadium d’Asmara, la capitale, face au Soudan (0-1), en match amical. Depuis, plus rien. La sélection n’apparaît même plus dans le classement mondial de la FIFA, faute de performances.

L’Erythrée avait pourtant atteint une honorable 121e place en juin 2007 (sur 210 nations), à une époque où elle participait notamment aux phases préliminaires du Mondial ou de la CAN. Ses clubs n’ont plus participé aux compétitions continentales depuis 2008, et aucune donnée sur le déroulement du championnat national n’est disponible depuis 2019.

Etat parmi les plus répressif

La fédération érythréenne, présidée par Paulos Weldehaimanot – que Le Monde Afrique a plusieurs fois tenté de joindre –, était pourtant favorable au retour des Red Sea Boys sur la scène continentale.

Mais le dirigeant n’a rien pu faire pour contrer la volonté de Zemale Tekle, commissaire (du gouvernement) aux sports et à la culture, lequel a imposé à l’instance de ne pas engager la sélection. Une injonction dictée par Issayas Afeworki, le chef de cet Etat indépendant depuis 1993 et considéré comme l’un des plus répressifs de la planète.

« C’est une décision politique. Depuis des années, des joueuses, des joueurs et des membres du staff technique ont profité des déplacements à l’étranger pour demander l’asile politique comme ce fut le cas au Kenya, au Botswana, en Ouganda, en Angola et en Ethiopie, et le régime souhaite éviter que cela ne se reproduise », analyse Jean-Baptiste Guégan, enseignant à Sciences Po-Paris et expert en géopolitique du sport.

La dernière apparition d’une sélection nationale érythréenne, en novembre 2022, à l’occasion de la compétition féminine des moins de 20 ans de la Cecafa (Council for East and Central Africa Football Associations) en Ethiopie, avait permis à cinq joueuses de fausser compagnie aux agents de sécurité missionnés par le gouvernement d’Asmara.

Défections massives

Depuis une quinzaine d’années, une soixantaine d’athlètes auraient décidé de ne pas rentrer en Erythrée. Une situation que le régime d’Asmara s’est bien gardé de confirmer. L’international rwandais Emery Bayisenge, qui avait affronté l’Erythrée en 2011 à domicile en qualifications pour la Coupe du monde 2014, avait alors échangé avec certains de ses adversaires et aujourd’hui il n’est pas surpris par ces défections massives. « J’avais compris qu’ils n’avaient pas le statut de professionnels, devaient travailler à côté pour pouvoir gagner leur vie et que leur souhait était de partir pour jouer à l’étranger, explique-t-il. Nous n’étions restés que trois jours, assez pour voir que l’Erythrée est un pays pauvre, où les gens n’ont pas beaucoup de liberté. »

L’absence continue des sélections et clubs érythréens de toutes les compétitions continentales n’empêche cependant pas le président de la fédération de représenter le football de son pays auprès des instances internationales.

« Il participe aux réunions et aux séminaires de la Confédération africaine de football (CAF), était également présent à Bangkok, à l’occasion du congrès de la FIFA au mois de mai. Il prend part aux votes tout à fait normalement. Mais il est totalement soumis aux décisions du pouvoir politique. Si la sélection ne joue pas, ce n’est pas son choix » », rapporte Saïd Ali Saïd Athouman, le président de la fédération comorienne.

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Les quelques joueurs expatriés, qui évoluent en Ethiopie, au Soudan, en Pologne ou en Suède, semblent désormais résignés, et ne se font plus guère d’illusion sur leur carrière avec la sélection nationale. « Les dirigeants ne prennent pas le football au sérieux. Nous pourrions rivaliser si on nous en donnait la possibilité, mais avec ce qui se passe, les joueurs voudront-ils représenter l’Erythrée à l’avenir ?  », avait regretté, lors d’un entretien accordé à la BBC, le milieu de terrain Mohammed Saeid. Né en Suède, il n’a porté le maillot de son pays d’origine qu’à une seule reprise, en 2019 contre la Namibie.

Générosité

Paradoxalement, l’Erythrée participera aux Jeux olympiques à Paris, comme elle le fait sans discontinuer depuis 2000. Huit athlètes, sept en athlétisme, et un en cyclisme, représenteront leur pays à Paris, avec l’espoir de décrocher la deuxième médaille olympique de son histoire.

En 2004, à Athènes, Zersenay Tadesse avait glané la médaille de bronze sur 10 000 m. « Il est plus facile de surveiller une petite délégation qu’une équipe de foot et un staff technique, explique Jean-Baptiste Guégan. Pour le régime d’Asmara, participer aux JO permet de montrer que le pays existe toujours dans le monde du sport, un des rares domaines où l’Erythrée fait parler d’elle plutôt en bien. »

Plusieurs cyclistes érythréens, comme Daniel Teklehaimanot, Merhawi Kudus, Biniam Girmay ou Amanuel Ghebreigzabhier, ont en effet remporté de nombreux titres en Afrique, des performances largement exploitées par Issayas Afeworki pour améliorer l’image de son régime. Le dictateur avait même autorisé les deux premiers à participer au Tour de France 2015, poussant la générosité jusqu’à leur offrir des vélos neufs.

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