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les bonnes affaires de l’Ouganda dans l’est de la RDC

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C’est l’armée ougandaise, et non une cellule de prison, que Nicolas (le prénom a été changé) espérait intégrer quand il a quitté, il y a deux ans, son village de Boga, en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Agé de 22 ans à l’époque, le Congolais voulait combattre les Forces démocratiques alliées (ADF), une rébellion d’origine ougandaise ralliée au groupe Etat islamique, coupable du meurtre de l’un de ses proches et responsable de massacres à répétition dans sa province et dans celle voisine du Nord-Kivu, déchirée par des décennies de violences.

« Le recruteur m’a assuré que je serais encadré par les forces armées ougandaises [Uganda People’s Defense Forces, UPDF]. Il m’a trompé », confie Nicolas, rencontré dans la cour d’une prison militaire de Bunia, le chef-lieu de la province. « Nous avons bien été amenés jusqu’à Kisoro en Ouganda, mais c’était pour nous distraire. Ce n’est pas là-bas que nous avons reçu notre formation », poursuit-il.

Aux côtés de trente-neuf autres civils, le jeune Congolais raconte avoir roulé, « toujours de nuit », jusqu’au Rwanda, où il assure avoir été entraîné pendant plusieurs mois par des hommes du Mouvement du 23 mars (M23). Ces insurgés, qui contrôlent une partie du Nord-Kivu, sont appuyés par le Rwanda, et plus discrètement par l’Ouganda.

Kampala, qui opère officiellement en RDC depuis la fin de l’année 2021, dans le cadre de l’opération Shujaa, pour lutter contre les ADF aux côtés des militaires congolais, entretient aussi des liens étroits avec certaines milices pour sécuriser ses intérêts dans la région. Profitant des guerres sans fin qui déchirent, depuis 30 ans, l’Est congolais, le pays a capté une partie des immenses richesses minières de l’Ituri. Et entend bien garder la main.

Conflit alimenté par le contrôle de minerais

Nicolas a été l’un des rouages de cette machine. « J’étais censé devenir un formateur pour d’autres miliciens », explique-t-il. Comme ses codétenus, il assure s’être « rendu » aux autorités congolaises après avoir compris les « vrais objectifs » de ses recruteurs : le faire entrer dans les rangs de milices d’autodéfense hema, l’une des principales ethnies de l’Ituri, en conflit avec une autre communauté, celle des Lendu.

Les deux groupes – dont les antagonismes remontent à la colonisation, période au cours de laquelle les autorités belges ont favorisé les Hema au détriment des Lendu – s’accusent de vouloir s’exterminer l’un l’autre par milices interposées : les Lendu avec la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco) ; les Hema avec la Zaïre. Toutes deux créées après la résurgence des violences intercommunautaires en 2017.

Les liens entre la Zaïre et le M23 ont été documentés par les experts des Nations unies, tout comme leur proximité avec Kampala. La Zaïre a envoyé « des centaines de combattants en formation en Ouganda depuis 2022 » et ont « reçu des armes » en provenance du même pays, via des réseaux de contrebande, indiquent-ils dans un rapport de décembre 2023. Kampala n’en est pas à son coup d’essai : l’Ouganda avait déjà soutenu des groupes armés dans l’est de la RDC pendant la seconde guerre du Congo de 1998 à 2003.

Ce conflit complexe, alimenté par le contrôle de minerais – principalement l’or –, a impliqué neuf pays africains et une trentaine de milices locales, dont le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par Kigali, et le Mouvement de libération du Congo (MLC), appuyé par Kampala. L’Ouganda a d’ailleurs été condamné par l’ONU en 2005 pour violations du principe de non-ingérence et du droit humanitaire lors de l’invasion et l’occupation de l’Ituri.

« Exploitant d’or »

Aujourd’hui, l’héritage de ce conflit perdure. Certains leaders de la milice Zaïre sont d’anciens membres de l’Union des patriotes congolais (UPC), un groupe armé hema, puissant au début des années 2000. Son fondateur, Thomas Lubanga, est de retour à Bunia depuis quelques mois et a tenté de se présenter aux élections législatives en 2023. Tout comme son ancien allié de l’UPC, resté proche de l’Ouganda, Yves Kawa Panga Mandro, connu sous le nom de « chef Kawa », qui a joué, selon l’ONU, « un rôle essentiel dans l’essor et la réorganisation du groupe Zaïre ».

Mais la candidature de ces anciens seigneurs de guerre a été invalidée par la Cour constitutionnelle à cause de leur condamnation par la Cour pénale internationale (CPI) et par la justice congolaise pour crimes de guerre.

Quand la seconde guerre du Congo a éclaté, Laro Adrico était encore enfant. Aujourd’hui, le trentenaire au regard sévère et à la voix rauque est devenu l’un des leaders de la jeunesse d’Iga Barrière, une localité de l’Ituri, autrement dit un commandant local de la Zaïre. « Au repos », précise-t-il en exhibant une blessure au bras. Il est surtout « exploitant d’or ». Le précieux métal joue toujours un rôle central de financement pour les groupes armés de l’Ituri et bénéficie encore, et de plus en plus, aux voisins ougandais, qui n’ont jamais renoncé à exploiter les richesses minières de RDC.

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La quasi-totalité du produit traverse la frontière illégalement et le minerai congolais est ainsi devenu le premier produit d’exportation en Ouganda, devant le café. Les recettes ont même augmenté depuis la reprise des violences en RDC, passant de 413 millions de dollars en 2017 à 2,3 milliards en 2023.

Le lac Albert, un passage de la contrebande

La localité de Tchomia, posée sur les rives du lac Albert qui sépare les deux pays, est l’un des points de passage de la contrebande. Des dizaines de voyageurs empruntent chaque jour des navettes pour la traversée direction Kampala, l’une des plaques tournantes de l’or en Afrique centrale. « 1 kilogramme, c’est extrêmement facile à cacher et on ne peut pas contrôler tout le monde », justifie un fonctionnaire local qui a souhaité rester anonyme.

A quelques mètres, au port de marchandises, des manutentionnaires déchargent d’énormes pirogues lourdes de plusieurs dizaines de tonnes. Toutes viennent d’Ouganda chargées de sucre, d’huile ou d’eau potable. Le président ougandais Yoweri Museveni a fait du commerce « la pierre angulaire de sa stratégie économique et politique : avec une population jeune qui augmente rapidement et une popularité déclinante, la croissance économique est essentielle pour son gouvernement », précise un rapport du Groupe d’études sur le Congo (GEC) et Ebuteli, deux instituts de recherche.

« Même les pommes de terre sont importées maintenant », déplore Jacob Bimbona, le président des transporteurs du lac Albert, en s’arrêtant devant une embarcation. L’Ituri, réputée pour ses terres arables, a longtemps cultivé ses propres produits maraîchers. Mais l’insécurité, attisée par la politique de l’Ouganda face à des autorités congolaises toujours incapables de l’endiguer, est désormais devenue permanente.

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