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« Mon devoir de grande sœur »

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« Julienne », de Scholastique Mukasonga, Gallimard, 220 p., 20,50 €, numérique 15 €.

Scholastique Mukasonga le concède avec lucidité dans les interviews qu’elle accorde : « Je suis devenue écrivain par le drame du génocide des Tutsi », confie-t-elle, une nouvelle fois, au « Monde des livres ». Jamais, pourtant, ses textes n’ont eu pour sujet principal la représentation directe des trois mois sanglants de 1994 durant lesquels de 800 000 à un million de Tutsi furent massacrés au Rwanda. Le génocide n’est pas le point central des livres de l’écrivaine : il est le point de convergence de ses récits, tous antérieurs aux événements de 1994. L’écrivaine traque dans l’histoire de son pays les symptômes du génocide un peu comme on chercherait sur le ­visage d’une personne d’apparence saine les gerçures et les grimaces de son jumeau malade et ­maléfique.

Julienne renouvelle cette démarche en la prenant à rebours : faire resurgir le visage gracieux de son personnage au milieu d’une époque monstrueuse – antérieure au génocide, encore une fois, le récit se déroulant dans les deux décennies qui l’ont précédé, sinon préparé. « La photo sur le bandeau du livre, c’est elle. C’est une personne bien réelle », confirme Scholastique Mukasonga. Son ample sourire « représente ce qu’a été Julienne : souple, simple, innocente, malgré ce qu’elle a connu sur son chemin ». Un chemin qui débuta par la grossesse non voulue de sa mère, suivie d’une enfance sans grande joie, d’un exil au Burundi au prix d’un viol, d’un avortement, de sa relation avec un Belge aux activités mystérieuses mais exhalant quelques effluves interlopes, d’une santé de plus en plus fragile… En écrivant la vie claudicante de Julienne, Scholastique Mukasonga avait en tête un mot : « “Agaciro”, la dignité. On nous en avait dépossédés. Je cherche à redonner cette dignité à Julienne. »

A évoquer le parcours de ce personnage, l’émotion de l’écrivaine est palpable. Les milliers de kilomètres qui séparent Paris du ­Brésil, où l’écrivaine est en tournée, n’atténueront en rien l’impression de toucher à quelque chose de très intime chez elle. « Julienne était très proche de moi », dit-elle mystérieusement dans un premier temps, avant de dire : ­ « Julienne, c’est ma vie. » Evoquant son quatrième livre, Notre-Dame du Nil (Gallimard, 2012), la romancière brouille les pistes : « Un peu comme dans ce texte, Julienne, c’est mon histoire sans être mon histoire, car il m’était difficile de tout raconter sans passer par la fiction. » Il faut un peu de temps pour que Scholastique Mukasonga précise les choses d’elle-même : « La culpabilité du survivant, ce n’était pas la même chose que la culpabilité face à Julienne : j’ai failli dans mon devoir de grande sœur. »

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