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vers la formation d’un gouvernement d’union nationale en trompe-l’œil ?

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« 2024 est notre 1994 », répétaient à l’envi les Sud-Africains partisans du changement en se rendant aux urnes, le 29 mai. Ils ne croyaient pas si bien dire. Comme ils l’espéraient, les élections ont vu le Congrès national africain (ANC) perdre sa majorité absolue à l’Assemblée nationale pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, forçant le parti à former une coalition afin de conserver le pouvoir.

Confronté à deux choix radicalement opposés qui divisent profondément son mouvement, le président Cyril Ramaphosa, également à la tête de l’ANC, a annoncé le 6 juin que le parti invitait tous ses adversaires à la table des négociations pour former un gouvernement d’union nationale, comme l’avait fait en son temps son mentor, Nelson Mandela. Mais à la différence de 1994, quand l’initiative avait permis de cimenter la nation autour de l’idée de réconciliation, les prémices du processus actuel soulignent avant tout les fractures qui divisent la société.

« L’ANC reconnaît que nous nous trouvons à un moment crucial dans la vie de notre nation. Notre pays a besoin d’un leadership et d’un courage extraordinaires pour tracer la voie à suivre. Nous devons agir rapidement pour sauvegarder l’unité nationale, la paix, la stabilité, une croissance économique inclusive, le non-racisme et le non-sexisme », a plaidé Cyril Ramaphosa en annonçant la volonté du parti de former un gouvernement d’union nationale.

L’ANC divisé

Le parti a-t-il vraiment d’autres choix ? Le mouvement a recueilli à peine 40 % des suffrages, un score qui l’oblige à s’associer avec au moins un des grands partis d’opposition. D’un côté, l’Alliance démocratique (DA), le parti de centre droit qui a rassemblé 21 % des voix. De l’autre, le parti de gauche radicale populiste des Combattants de la liberté (EFF, 9,5 % des voix), et éventuellement celui de l’ancien président Jacob Zuma, uMkhonto we Sizwe (MK), qui a créé la surprise en devenant la troisième force politique du pays (14,5 % des voix) quelques mois à peine après sa création.

Si la première option, de nature à rassurer les marchés, semble emporter la préférence de la direction de l’ANC, celle-ci divise profondément la formation. L’Alliance démocratique, opposée notamment aux politiques de discriminations positives censées corriger les inégalités héritées de l’apartheid, est perçue par une partie du mouvement – et de la population – comme une force réactionnaire dont la raison d’être serait de préserver les privilèges économiques de la minorité blanche.

La proposition de bâtir un gouvernement d’union nationale pourrait être une manière de rendre acceptable une collaboration avec l’Alliance démocratique. « L’initiative introduit un processus par lequel l’ANC n’a pas à assumer la responsabilité de la façon dont va s’écrire la suite des événements », observe Piers Pigou, responsable du programme Afrique australe au sein de l’Institut d’études de sécurité (ISS), un think tank africain.

Refus de l’opposition radicale

Car la proposition pourrait se solder, de fait, par une coalition avec le principal parti d’opposition étendue à de plus petits partis sans que l’ANC n’ai eu à donner l’impression de choisir. Juste après l’annonce de Cyril Ramaphosa, le dirigeant de l’EFF, Julius Malema, a immédiatement fait savoir qu’il rejetait la proposition. « Nous ne voulons pas former un gouvernement avec les représentants du système colonial blanc et de l’apartheid », a confirmé le lendemain le vice-président du mouvement, Floyd Shivambu, qualifiant le DA de « voleur de terre ».

Partisan de réformes économiques radicales, l’EFF explique militer pour un gouvernement uni autour du projet « d’améliorer la vie de notre peuple parce que notre peuple est toujours à la marge de l’économie ». Dans la même veine, le porte-parole du parti de l’ancien président Jacob Zuma, Nhlamulo Ndlhela, a confirmé son refus de prendre part à un gouvernement d’union nationale qualifié de « raciste ».

A l’inverse, l’Alliance démocratique a indiqué sa volonté de participer à un possible gouvernement uni autour de l’idée préserver la constitution sud-africaine. Soulignant son attachement à l’indépendance de la banque centrale sud-africaine, le parti suggère qu’il refusera lui aussi de travailler avec l’EFF, qui plaide pour sa nationalisation. Mais il met en avant des points de convergence avec l’ANC sur un certain nombre de réformes visant à redresser l’économie.

De manière notable, le document publié par le parti dessinant les fondations d’un possible accord de gouvernement ne mentionne pas l’idée d’abandonner le salaire minimum et les politiques de discriminations positives, deux points du programme de l’Alliance démocratique qui cristallisent l’opposition d’une partie de l’ANC et sur lesquels le parti d’opposition semble prêt à faire des compromis.

Vers une coalition à trois partis

Le parti conservateur zoulou Inkhata Freedom Party (IFP), qui a rassemblé 3,8 % des voix, a également signalé être ouvert à l’idée de prendre part à un gouvernement d’union nationale. L’ANC pourrait ainsi compter sur une coalition rassemblant au moins 65 % des voix exprimées lors des élections. « C’est un tremplin mais on n’est pas sorti du bois pour autant », nuance Piers Pigou qui souligne que la situation reste « instable » et que son issue dépend encore largement d’une entente sur des grands principes de gouvernance.

Surtout, dans cette configuration, un « gouvernement d’union nationale » n’en aurait que le nom. « Certes, une coalition entre l’ANC, l’Alliance démocratique et l’Inkhata Freedom Party représente 65 % des voix, mais ça laisse 35 % des gens qui ont voté en dehors du ring », poursuit Piers Pigou. C’est également le sentiment d’un jeune leader de l’ANC, Esethu Hasane, pour qui les électeurs du MK et de l’EFF « ont voté contre l’ANC parce qu’ils estiment que l’économie n’a pas été transformée et qu’elle reflète encore les intérêts de la minorité blanche ».

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« L’ANC n’est peut-être pas d’accord avec ces électeurs, mais il devrait les écouter et s’interroger sur la manière dont sont perçues nos politiques pour convaincre ces gens qu’on essaye de les prendre en compte », estime Esethu Hasane. A défaut, une coalition centrée autour de l’ANC et de l’Alliance démocratique pourrait tout aussi bien, à terme, accélérer le déclin du Congrès national africain et la reconfiguration du paysage politique au profit de partis radicaux.

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