« Le Figaro est-il encore le journal de toutes les droites, ou celui d’une seule ? » Cette question, formulée par un reporter du quotidien conservateur, plus d’un de ses collègues se l’est subitement posée, jeudi 13 juin, en découvrant l’éditorial que le directeur des rédactions Alexis Brézet a délivré dans la matinale d’Europe 1.
Revenant sur le rocambolesque épisode de l’annonce par le président des Républicains (LR), Eric Ciotti, d’un accord électoral entre le parti de la droite traditionnelle et le Rassemblement national (RN) en vue des législatives des 30 juin et 7 juillet, le journaliste a donné le sentiment de franchir une limite que, selon plusieurs témoins, il ne se permettait de dépasser, jusque-là, qu’à titre privé.
Fustigeant « cette brochette de caciques en rangs serrés, Gérard Larcher, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Michel Barnier, Jean-François Copé », mais aussi « tous ces barons qui n’ont pas toujours enchaîné les triomphes, et Laurent Wauquiez (…), Bruno Retailleau, et même François-Xavier Bellamy », M. Brézet, le ton railleur, estimait : « on voudrait persuader les derniers électeurs LR de ne plus jamais voter pour ce parti, on ne s’y prendrait pas autrement ». A l’entendre, le rapprochement LR-RN est « un débat qui ne mérite pas ces anathèmes et ces excommunications ». En effet, explique-t-il encore, « la fluidité entre les électorats de droite, ça fait bien longtemps qu’à la base, c’est une réalité ».
« Tout le monde se demande où on va »
Si toute la rédaction n’était pas à l’écoute de la station détenue par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré à ce moment-là, le trouble et l’inquiétude se sont répandus à la vitesse d’un cheval au galop quand des posts sur le réseau X ont commencé de répercuter un écho réprobateur. « Je suis triste, furieuse, j’ai honte », a ainsi écrit une ancienne du quotidien, quand une autre tranchait : « On y est. Le Figaro, le journal de François Mauriac, va voter RN ». Stupéfiée, elle aussi, par ce qui lui est apparu comme un tournant historique dans la ligne du journal, Sophie de Ravinel, qui suit l’actualité de la gauche depuis une quinzaine d’années, s’est émue : « Est-ce encore le journal qui a défendu Alfred Dreyfus, soutenant son innocence quand presque toute la presse, acquise à l’extrême droite, le condamnait ? »
Plusieurs membres de la rédaction, selon les témoignages recueillis par Le Monde, ont brûlé d’envie de reposter le message de leur collègue actuellement « en pause » professionnelle. « On l’a tous perçu comme un purgatoire », assure un confrère, pour qui « 85 % de la rédaction » partage son avis. Mais « on s’est senti dans l’incapacité de le retweeter, de peur de se le voir reprocher ». Certains se sont même interrogés tout haut sur l’éventualité de recourir à leur clause de conscience (une disposition qui permet aux journalistes de quitter leur emploi, avec une indemnité de licenciement, en cas de virage éditorial). « Il y a quelques semaines déjà, j’entendais des collègues se demander s’ils resteraient au Figaro si, en 2027, Marine Le Pen remportait l’élection présidentielle, confirme un journaliste. Tout le monde se demande où on va. »
Il vous reste 49.62% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.