Même si certains butent encore sur son patronyme croate hérité de feu son mari, Martine Crnkovic a su se faire connaître dans la Sarthe. En 1989, élue dans le village de Louailles, au sud-ouest du Mans, elle devient, à 33 ans, la plus jeune maire du département, et n’a jamais quitté son fauteuil depuis. L’édile, « plutôt au centre », a toujours refusé d’adhérer à un parti politique.
Louailles n’a aucun secret pour elle, en principe. Mais, depuis les élections européennes du 9 juin, madame la maire n’est plus sûre de rien. La commune rurale de 714 habitants a voté à 55,82 % pour le Rassemblement national (RN), soit l’un des meilleurs scores atteints par le parti de Jordan Bardella sur le territoire sarthois. « Avant, je devinais comment les familles votaient, mais, depuis quelques années, c’est le brouillard », confie-t-elle, assise dans le modeste bureau municipal où elle reçoit ses administrés. L’insécurité ? « Un petit cambriolage de temps en temps. » En revanche, les émeutes de l’année dernière ont marqué. Louailles est resté calme, mais, à 55 kilomètres de là, l’hôtel de ville de Coulaines (7 500 habitants) a été incendié. Les images ont tourné en boucle.
Martine Crnkovic a été surprise par le nombre de jeunes venus déposer un bulletin dans l’urne, le 9 juin. Et le résultat final reste un choc. Pêle-mêle, l’élue liste les raisons avancées pour choisir le RN : donner un coup de pied dans la fourmilière ; essayer ce qui n’a jamais été tenté ; dégager Emmanuel Macron, « cible des colères liées aux fins de mois difficiles et à ce sentiment de trahison et d’abandon », complète-t-elle. Mais cette républicaine ne se remet pas de son échange avec un garçon de 20 ans à peine. « Il m’a dit : “Jordan, il porte des Nike, il est sur TikTok, il est comme nous !” Cette superficialité fait peur. Les gens sont paumés… »
Tête de pont
Comme d’autres élus locaux, Martine Crnkovic a bien senti que la Sarthe, ancrée à droite – même si Le Mans est dirigé par le socialiste Stéphane Le Foll – « poussait vers l’extrême ». Le RN y a d’abord décroché des conseillers municipaux en 2014, puis des élus régionaux en 2015. Lors des élections législatives anticipées, une nouvelle étape pourrait être franchie avec l’envoi d’un ou plusieurs candidats à l’Assemblée nationale. Depuis des années, le département est considéré par le RN comme une tête de pont vers la Bretagne, longtemps réticente à voter pour l’extrême droite mais dont les digues cèdent désormais.
Aujourd’hui, le RN vise principalement deux des cinq circonscriptions, dans le sud du département, où il avait échoué de peu en 2022. Dans la 3e circonscription, principalement rurale, l’arboriculteur Eric Martineau (MoDem) avait battu de 704 voix Bruno Pinçon, alors RN mais exclu depuis. L’écart était plus serré dans la 4e, où la candidate La France insoumise (LFI), Elise Leboucher, novice en politique, l’avait emporté de 87 voix face à Raymond de Malherbe (RN), lui aussi exclu pour des bisbilles internes.
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