Dans les vergers qui s’étendent au pied du mont Ventoux, les branches sont lourdes de cerises, mûres à cette saison. Ce petit coin de Provence, à l’est de Carpentras (Vaucluse), est connu pour cela mais aussi pour le raisin de table, qui viendra à maturité plus tard dans l’été. « Depuis toujours », disent les habitants, des ouvriers agricoles viennent de l’étranger ramasser les fruits. Des générations sont arrivées d’abord d’Italie et du Portugal, puis d’Espagne et du Maghreb.
Nous sommes dans la 5e circonscription du Vaucluse – la dernière à n’être pas encore aux mains du Rassemblement national (RN), qui a pourtant obtenu 40,3 % des voix dans le département aux élections européennes. Le vote RN, bien ancré dans la région, représente encore une relative nouveauté dans les villages de l’ancien Comtat Venaissin. Ces toutes petites communes tenues par des maires de centre gauche, dans une tradition radicale-socialiste installée depuis la IIIᵉ République, menacent de basculer.
Dans le village de Villes-sur-Auzon (Vaucluse) – Jordan Bardella y a recueilli 35,8 % des voix aux élections européennes –, Sonia Catieau, 54 ans, et ses deux enfants, Geoffrey et Juliette (28 et 24 ans) font surtout du raisin, de la cerise et de l’asperge, ce légume fragile qu’il faut savoir « creuser » (déterrer) sans le briser en deux. Les trois agriculteurs ont voté pour la liste du RN. Ils font venir à chaque saison une dizaine de Maghrébins, sans compter leur « permanent », un Marocain installé au village dont le fils était à l’école avec Geoffrey. Les ouvriers maghrébins sont employés au moyen de contrats saisonniers de six mois dits, par métonymie, « contrats OFII » – ils sont délivrés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, rattaché au ministère de l’intérieur.
Ne craignent-ils pas que les travailleurs extra-européens ne puissent plus venir ? « La paperasse pour les faire arriver est déjà compliquée. Je ne vois pas comment ça pourrait être pire », souligne Geoffrey. Et leur employé marocain, s’il était exposé à une xénophobie décomplexée ? « Les personnes honnêtes qui travaillent n’ont rien à craindre. » N’est-il pas paradoxal de voter pour un parti qui affiche son aversion pour les immigrés quand on a tant besoin d’eux ? « Il y a aussi des gens d’origine marocaine qui votent RN », défend Sonia.
Paresse et assistanat
Dans la maison familiale qui jouxte les vignes et les champs d’asperges, un auvent abrite un tracteur, sous le regard d’une caméra de surveillance. « Il vaut 150 000 euros. Donc, ça sécurise contre le vol, explique Geoffrey. Quand il y a eu les manifs cet hiver, les gens ont ironisé sur les agriculteurs qui bloquaient avec du matériel de ce prix… Mais il n’est pas à nous, c’est du leasing [crédit-bail]. » L’exploitation traverse une « passe compliquée », témoigne Sonia, après de gros investissements suivis d’aléas climatiques qui ont entraîné des pertes. Ils rient quand on leur demande s’ils s’octroient un salaire. « Comme je suis à la tête de la société, je suis obligée de déclarer le minimum, 1 700 euros, détaille-t-elle. Mais je n’en garde que 1 000 et je reverse le reste à l’exploitation. »
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