Changer d’adresse sans déménager. De nombreux Français doivent s’y attendre dans les mois à venir. Une loi votée en 2022 oblige en effet les maires des communes de moins de 2 000 habitants à attribuer une adresse à chacun d’eux. Or, 1,6 million de foyers n’ont toujours pas d’adresse précise. Officiellement, les élus avaient jusqu’au 1er juin pour se mettre en conformité avec cette loi. A ce stade, seules 21 087 d’entre eux l’ont fait, soit 60 % des communes. Martine Jolly, maire sans étiquette de Courcy (Marne, 1 300 habitants), fait partie des retardataires. « On n’a pas encore commencé », explique-t-elle, très étonnée en apprenant que le 1er juin était la date d’arrivée, pas de départ. « Bon, on va être un peu en retard, conclut-elle. Mais je ne pense pas qu’on va nous guillotiner sur la place publique… »
Mme Jolly, il est vrai, redoute de se lancer dans ce chantier « extrêmement compliqué », « en plus de tout le reste », rappelle-t-elle : « S’il faut changer cinq adresses, ce sera la guerre. Cinq cents, vous imaginez…, soupire-t-elle. Je ne vais pas m’affoler. On n’est pas à une semaine près. On va déjà payer un état des lieux, et on prendra des décisions. » Aucune sanction n’est prévue pour les communes ayant raté le coche du 1er juin.
Pour les édiles, la tâche est souvent épineuse et politiquement sensible. Même si l’objectif de la réforme ne pose pas de problème. La commune de Saint-Jean-d’Heurs (Puy-de-Dôme, 700 habitants) s’en était rendu compte avant la loi de 2022. « C’était frappant, raconte le maire, Bernard Frasiak (divers gauche). On avait une caserne de pompiers ici, qui connaissait donc bien les lieux. Elle a aujourd’hui fermé ; les secours viennent des environs, et ils ne connaissent pas bien la commune. » Or, indiquait récemment Eric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers dans Le Parisien, « une minute de gagnée sur l’arrivée des secours, c’est 10 % de chances supplémentaires de survie lors d’un malaise cardiaque ».
« On craignait qu’on nous vole les plaques aussitôt »
Alors, quand dans « certains lieux-dits sans adresse on a dix ou quinze maisons », rappelle la maire sans étiquette de Plouezoc’h (Finistère), Brigitte Mel, les minutes passent vite… Pour Mme Mel, la sécurité de ses concitoyens est un enjeu décisif. D’autres arguments justifient aussi la réforme. « C’est obligatoire pour la fibre », assure-t-elle. Et chacun souligne la part déterminante que prennent aujourd’hui les livraisons à domicile.
Passer aux travaux pratiques est une autre affaire. Saint-Jean-d’Heurs avait pris de l’avance. Tout était à faire : dans ce bourg, éclaté en une vingtaine de lieux-dits, il n’y avait aucune rue portant un nom. « On partait de zéro et on avait toute liberté pour choisir un thème », note Bernard Frasiak. Ce fut la musique. Route Mozart, route Elvis-Presley, place Rouget-de-Lisle, rue Johnny-Hallyday (« On craignait qu’on nous vole les plaques aussitôt », raconte le maire), rue Madonna, impasse Mc-Solaar, etc. Une « petite commission » a fait une liste, et les élus ont fait du porte-à-porte pour sonder les 250 familles du bourg. « Certains ont regretté que l’on ait fait une croix sur les personnalités locales, admet le maire. D’autres ont râlé : “Freddie Mercury, c’est un pédé drogué !’’ ou “Nina Simone, c’est une noire, non ?’’ » Mais, globalement, la population a « très largement » approuvé le choix, assure-t-il, et le conseil municipal a voté le nouvel adressage.
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