De la première, décidée par Louis XVIII en 1816, à celle déclenchée le 9 juin par Emmanuel Macron, le pays aura expérimenté dix-neuf dissolutions. Dans des circonstances très différentes. Le roi voulait échapper à l’emprise réactionnaire d’une majorité de députés plus royalistes que lui. C’est « un temps de clarification indispensable », a jugé le président de la République, après le désaveu infligé à sa coalition par les Français, lors du scrutin européen. Mais il y a une constante : la dissolution porte rarement chance à celui qui en use.
Le congé donné aux parlementaires pour permettre au peuple de « trancher une crise politique », comme Jacques Chirac l’avait dit en 1996, est « un outil classique du régime parlementaire », rappelle l’historien Alain Chatriot, professeur à Sciences Po. Une sorte d’« équilibre de la terreur » : les députés peuvent censurer le gouvernement, mais le chef de l’Etat peut dissoudre l’Assemblée nationale en vertu de l’article 12 de la Constitution de 1958. « C’est un instrument de stabilité gouvernementale », poursuit le chercheur : les fondateurs de la Ve République, marqués par l’instabilité délétère de la IVe République, voulaient « se prémunir contre la censure ou les divisions internes » en plaçant au-dessus de la tête des élus l’épée de Damoclès de la dissolution.
« De Gaulle tenait beaucoup à ce qu’en cas de crise, le président de la République puisse requérir l’arbitrage du peuple », rappelle Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel à l’université Panthéon-Sorbonne. En 1962, après l’attentat du Petit-Clamart, il annonce vouloir faire adopter par référendum le principe de l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct. Mécontents, les députés censurent le gouvernement de Georges Pompidou. Et Charles de Gaulle dissout. Un cas d’école : le désaccord entre l’exécutif et le Parlement sera réglé par le peuple. « 1962, c’est la première crise et elle est cruciale, car elle pose les bases de la pratique de la Ve République », note Mme Cohendet.
« Un outil utile, mais dangereux »
La légitimité du président de la République, désormais choisi par le pays entier, est telle que le régime n’est dès lors plus tout à fait parlementaire ; il est dit « semi-présidentiel ». Mais la dissolution est « toujours une tentative de trouver une solution à une crise, de clarifier une situation », note l’historien Serge Berstein, professeur émérite à Sciences Po.
Elle devient aussi un moyen, pour le chef de l’Etat, de refonder son pouvoir et de conforter sa majorité. En 1968, après la crise sociale qui a déchiré le pays en mai, Charles de Gaulle dissout pour s’assurer de la confiance du peuple. En 1981 et en 1988, François Mitterrand use de cet outil pour obtenir une majorité cohérente avec son programme. En 1997, Jacques Chirac tente de conjurer l’impopularité grandissante de son camp en convoquant des législatives anticipées.
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