Le déficit français a dérapé en 2023, à 5,5 % du produit intérieur brut (PIB) et les agences de notation s’apprêtent à probablement baisser la note de la France. Mais les marchés financiers n’y prêtent presque aucune attention. Le taux d’intérêt sur les obligations françaises à dix ans tourne autour de 3,8 %, en légère hausse depuis quelques semaines mais loin du pic de 5 % de l’automne, preuve qu’il n’y a guère d’inquiétude immédiate chez les investisseurs.
Andrew Balls est bien placé pour expliquer ce paradoxe. L’homme est le directeur de l’investissement pour l’Europe, l’Asie et les marchés émergents pour Pimco, l’un des plus grosses sociétés de gestion au monde, avec environ 1 700 milliards d’euros d’encours, spécialisée dans le marché de la dette. A ce titre, il aiguille les énormes flux financiers de ses clients (fonds de pension, investisseurs institutionnels…). De son point de vue, la zone euro a passé avec succès le test des chocs successifs de ces dernières années et ses vingt pays membres, dont la France, en récoltent aujourd’hui les fruits.
« Avant le Covid, quand on pensait aux risques de la dette souveraine en Europe, on se disait que les choses paraissaient sous contrôle, mais qu’il fallait attendre la crise suivante pour s’en assurer, explique-t-il. L’Europe a ensuite traversé une profonde récession [la pandémie de Covid-19] et une guerre, et son risque souverain a tenu sans problème. Elle a réussi ce “stress-test” et le risque sur les dettes est aujourd’hui assez limité. »
« On n’a qu’une stagnation »
Que les choses soient claires : M. Balls ne dit pas que l’économie européenne est en grande forme. Elle est en pleine stagnation. Dans son récent « rapport cyclique » dressant ses prévisions des six prochains mois, il s’attend à ce que le décrochage du Vieux Continent face à l’Amérique continue. « Etant donné l’ampleur du choc énergétique [de 2022-2023], on pensait que l’Europe connaîtrait une profonde récession. Finalement, on n’a qu’une stagnation, ce qui est mieux. Mais on a de vraies interrogations sur son potentiel de croissance pour l’avenir. » Il s’inquiète de la baisse de la productivité, et constate que la vague de l’intelligence artificielle, qui provoque déjà un « effet richesse » aux Etats-Unis (création de start-up, levées de fonds…) n’a pour l’instant guère atteint l’Europe.
En revanche, cette conjoncture maussade n’a rien à voir avec la crise de la zone euro d’il y a une décennie. A l’époque, de hauts responsables allemands envisageaient ouvertement que la Grèce fasse défaut sur sa dette, la Banque centrale européenne (BCE) rechignait à intervenir et les marchés avaient paniqué.
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