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Les arguments trompeurs de Jordan Bardella sur le prix des énergies, les retraites et l’immigration

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Baisser la facture énergétique, revenir sur la réforme des retraites, réduire les droits des étrangers en situation irrégulière… Jordan Bardella a développé les priorités de son programme pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet au cours d’un entretien sur France 2, mardi 18 juin. Interrogé sur certaines ambiguïtés de son discours, le dirigeant du Rassemblement national (RN) y a développé plusieurs arguments contestables.

Des raccourcis sur le prix des énergies

Ce qu’il a dit

Au cours de l’entretien, Jordan Bardella a affirmé que la baisse des factures d’énergie serait sa « priorité » s’il remportait les législatives. Interrogé sur la faisabilité d’une telle mesure, par rapport aux règles européennes, l’eurodéputé a prétendu qu’il serait possible de réduire « immédiatement » les factures de « 30 % », en utilisant deux leviers :

  1. Une baisse de la TVA sur l’électricité, le gaz, le fioul et le carburant « dès les premières semaines », via un projet de loi de finances rectificatives ;
  2. Une négociation avec la Commission européenne afin de « retrouver un prix français d’électricité, ce qui fait mécaniquement baisser les factures. »

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Une directive européenne, révisée en 2022, fixe un cadre européen en matière de fixation des taux de TVA et permet d’appliquer des taux réduits au gaz et à l’électricité. La proposition de Jordan Bardella est donc applicable pour ces deux énergies. Mais ce n’est pas le cas pour l’essence et le diesel : les pays européens se sont entendus pour interdire des baisses de TVA sur les carburants, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette mesure contreviendrait donc à la directive et exposerait la France à un contentieux européen (et donc à des pénalités), ce que le président du RN passe sous silence.

L’argumentaire de Jordan Bardella sur le marché européen de l’électricité est lui aussi réducteur. Si la facture de la France a tant augmenté depuis 2022, c’est à la fois à cause de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et des difficultés du parc nucléaire français. Cette situation a amené le pays à s’approvisionner au prix fort auprès de ses voisins, alors qu’il est traditionnellement exportateur. La production s’est depuis rétablie, ce qui a amené le ministre de l’économie Bruno Le Maire à promettre une baisse des factures de 10 % à 15 % en février 2025. Par ailleurs, une grande partie du prix de l’électricité provient des taxes et des frais de développement et d’entretien du réseau électrique, qui n’ont rien à voir avec le marché de l’énergie en lui-même.

Un calcul trompeur sur les retraites

Ce qu’il a dit

L’eurodéputé RN a affirmé vouloir abroger dès l’automne la réforme des retraites adoptée en 2023, qu’il juge injuste et surtout inefficace économiquement. « Cette réforme, elle nous coûte de l’argent aujourd’hui », a-t-il assuré, expliquant que « deux tiers » des personnes de plus de 60 ans en France sont « au RSA, au chômage ou reçoivent une pension d’invalidité » et que le recul de l’âge légal du départ à la retraite « nous contraint à augmenter les dépenses sociales ».

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

La question des retraites fait l’objet d’un perpétuel débat chiffré, qui repose sur de nombreuses hypothèses macroéconomiques, d’autant plus fragiles que l’on cherche à anticiper la situation à venir.

Le discours de Jordan Bardella reste en tous les cas confus. D’abord, il est indéniable que le recul de l’âge légal du départ en retraite de 62 à 64 ans va engendrer des économies importantes pour les caisses de retraite, puisqu’elle retarde en moyenne les départs en retraite et joue à la baisse sur le calcul des futures retraites. Elle devrait également induire un supplément de cotisations sociales sur les emplois des personnes de 62 à 64 ans.

Il est vrai, en revanche, que la réforme a aussi engendré des coûts en instaurant une hausse du minimum contributif ou des mesures sur la pénibilité. A cela s’ajoutent, comme le souligne M. Bardella, des surcoûts liés aux personnes sans emploi de 62 à 64 ans qui toucheront des droits au chômage, au RSA ou des pensions d’invalidité.

Pour autant, aucune étude ou calcul ne permet de conclure à un effet positif pour les finances publiques du retour à la retraite à 62 ans. Les seules économies possibles se feraient en abrogeant le volet social (minimum contributif, pénibilité), sur lequel M. Bardella se garde bien de s’avancer.

Une mise en cause caricaturale de l’aide médicale d’Etat

Ce qu’il a dit

Jordan Bardella a estimé que l’abrogation de l’aide médicale d’Etat (AME) permettrait d’économiser 1,6 milliard d’euros. Selon lui, le dispositif accorde « la gratuité des soins pour les étrangers en situation irrégulière ». L’eurodéputé avait proposé le 14 juin sur BFM-TV de remplacer l’AME par une simple aide « d’urgence ».

POURQUOI C’EST FAUX

La mise en cause de l’AME est constante dans le discours de l’extrême droite. Cette aide garantit un accès aux soins de base, dans la limite des tarifs de la sécurité sociale aux étrangers en situation irrégulière qui résident en France depuis au moins trois mois et disposent de ressources inférieures à 810 euros par mois. Contrairement à ce que laisse entendre le RN, la liste est restreinte, avec des restes à charge importants pour les soins dentaires et optiques.

L’AME soulève des enjeux de santé publique. Ne pas soigner des personnes étrangères les met danger, mais nuirait aussi au reste de la population, en favorisant la circulation de certaines pathologies.

L’idée, soutenue par la droite sénatoriale lors des débats sur la loi immigration en 2023, de transformer l’AME en aide « d’urgence » suscite de nombreuses réserves, détaillées dans le rapport rendu par Claude Evin (ancien ministre de la santé) et Patrick Stefanini (ancien préfet et membre du Conseil d’Etat) en décembre 2023. Ils y expliquent que cette barrière à la prévention, au diagnostic et à une prise en charge médicale précoce pèserait « sur la santé publique » et « sur la résilience du système hospitalier », qui devrait assumer un plus grand nombre de soins urgents et vitaux, avec des coûts supplémentaires à la clé.

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