Le politiste Vincent Tiberj, professeur des universités et chercheur au Centre Emile-Durkheim, a dirigé le livre collectif Citoyens et partis après 2022. Eloignement, fragmentation (PUF, 424 pages, 22 euros). Il publiera à la rentrée Le Mythe de la droitisation française. Comment citoyens et électeurs divergent (PUF).
L’arrivée du Rassemblement national (RN) en tête des listes aux élections européennes a été interprétée comme une augmentation, en France, de l’hostilité à l’égard des immigrés. Vous contestez cette analyse, pourquoi ?
Vincent Tiberj : Contrairement à ce que l’on pourrait penser en regardant la scène politique, l’acceptation de l’immigration a paradoxalement beaucoup progressé, en France, depuis les années 1990. On le mesure en analysant l’indice longitudinal de tolérance, un baromètre qui agrège un ensemble de questions posées à des panels représentatifs, sous la même forme, depuis plus de quarante ans.
Il y a des hauts et des bas conjoncturels en fonction, par exemple, des attentats ou des émeutes, comme le montrent les deux dernières années, mais, sur le long terme, cet indicateur de tolérance – gradué de 0 à 100 – est passé de 47, en 1984, à plus de 60, dans les années 2020.
Le soutien au droit de vote des étrangers, par exemple, est passé de 34 %, en 1984, à 58 %, en 2022, et l’affirmation selon laquelle l’immigration est une « source d’enrichissement culturel » de 44 %, en 1992, à 76 %, en 2022. En revanche, l’idée qu’il y a « trop d’immigrés en France » a, elle, chuté de 69 %, en 1988, à 53 %, en 2022. Les électeurs votent de plus en plus souvent en faveur des candidats du Rassemblement national (RN), c’est indéniable, mais les citoyens, eux, sont de plus en plus ouverts à la diversité des origines et des cultures.
Comment expliquer ces progrès de la tolérance sur une longue période ?
Le premier facteur explicatif, c’est l’élévation spectaculaire du niveau de diplôme. La part d’une génération titulaire du baccalauréat est passée de 20 %, en 1970, à 80 %, aujourd’hui. Or, les études montrent que l’éducation protège contre les préjugés et inculque des valeurs. Le diplôme est associé à une meilleure acceptation de la diversité des croyances, des modes de vie et des histoires familiales.
Le second facteur, c’est le renouvellement des générations. Plus elles sont récentes, moins elles sont sujettes au racisme : les jeunes qui écoutent de la K-pop et qui regardent des séries américaines sur Netflix grandissent dans un monde métissé où la diversité est beaucoup plus présente que par le passé. Ils côtoient plus souvent des minorités ethnoraciales que leurs parents. Cette socialisation fait d’eux des citoyens plus ouverts culturellement.
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