Sur le téléphone, un appel en numéro masqué. « Allô ? La préfecture me dit que vous me cherchez », nous demande une voix hésitante. Anis Bouvard, un ouvrier de 29 ans vivant en Haute-Savoie, avait disparu depuis trois mois : il a changé de numéro, clôturé son compte Facebook, quitté la fédération départementale du Rassemblement national (RN), cherché un nouveau travail. Foudroyé, le 2 juillet, sur le plateau de la chaîne savoyarde 8 Mont-Blanc, par une question sur les taxes, il était resté muet de très longues secondes ; un silence devenu viral sur les réseaux sociaux.
Mèche plaquée au gel et cheveu sur la langue, Anis Bouvard est l’un des candidats novices que le parti d’extrême droite a jetés, sans les préparer, dans la campagne des élections législatives de juin et juillet, avant de les traiter de « brebis galeuses » et d’« erreurs de casting ». L’un des visages du fiasco du « plan Matignon » de Jordan Bardella annoncé bien en amont de la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, le 9 juin. Des centaines de militants se sont ainsi retrouvés candidats presque malgré eux, puis débatteurs d’un jour sur les plateaux télé. Beaucoup ont créé la surprise au premier tour, avant de perdre leurs moyens dans l’une des expériences les plus folles – et souvent les plus traumatiques – de leur vie.
Depuis, plusieurs d’entre eux ont choisi de se cacher. C’est le cas de Paule Veyre de Soras, qui portait les couleurs du RN dans la 1re circonscription de la Mayenne. Interviewée au soir du premier tour, le 30 juin, au milieu des hortensias de la préfecture, la candidate se défendait, devant la caméra du Glob, un média local, d’appartenir à un parti raciste et xénophobe : « J’ai comme ophtalmo un juif, et j’ai comme dentiste un musulman. » La vidéo cumule un demi-million de vues et oblige, cinq jours plus tard, Marine Le Pen à défendre ses candidats : des « braves gens » d’après elle « à l’image de la France ». Discrètement, néanmoins, le RN débarque le patron de la fédération RN de la Mayenne et militant de toujours, Jean-Michel Cadenas, autrement dit le « chef » de Paule Veyre de Soras. Quant à cette dernière, elle s’est évanouie dans la nature, ne répond pas aux courriels et a changé, elle aussi, de numéro.
Le Monde est parti à la recherche de ces candidats « jetés dans la fosse aux lions », comme ils disent, et propulsés d’un coup sous les feux de la rampe. Certains, à l’image de Cyline Humblot, magnétiseuse à Mirebeau-sur-Bèze, en Bourgogne, et candidate dans la 1re circonscription de la Côte-d’Or, coupent court à nos sollicitations comme on se dépêtre d’un démarchage téléphonique : « Merci, ça ne m’intéresse pas. » Cyline Humblot avait séché, sur le plateau de France 3 Dijon, sur la manière d’augmenter le pouvoir d’achat. « Par exemple, en baissant l’immigration », avait-elle bredouillé, sans pouvoir étayer son propos, dans une séquence vue des millions de fois.
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