Perte de souveraineté, perte d’influence : à en croire les débats politiques nationaux, il faudrait déplorer à la fois le déclin du poids de la France au sein de l’Union européenne (UE) et la mainmise de Bruxelles sur la politique menée par Paris. Le leadership économique de l’Allemagne, l’usage prédominant de l’anglais à Bruxelles, ou encore le basculement du centre de gravité à l’Est suite à l’invasion russe de l’Ukraine, relégueraient la France au second plan. Cette « petite voix » pessimiste est non seulement délétère, alors que l’élection des députés européens, le 9 juin, fait craindre un taux d’abstention élevé, mais surtout erronée, puisque l’UE semble plus que jamais naviguer sous pavillon français. Comment comprendre un tel décalage de perception et remédier à une méconnaissance préjudiciable de l’influence réelle de la France au sein de l’UE ?
Dans les faits, des priorités longtemps défendues par la France, comme la politique industrielle et la défense européenne communes, sont désormais au cœur de l’agenda européen. Deux raisons l’expliquent. D’abord, la succession de crises récentes a révélé l’importance, pour la résilience de l’Europe, des sujets que Paris avait voulu rendre prioritaires, comme la guerre en Ukraine, qui a accéléré la discussion sur la défense européenne ou encore la rivalité sino-américaine, qui menace la compétitivité européenne et force à repenser le modèle économique du marché européen.
De plus, le gouvernement français s’est activement engagé ces dernières années pour défendre son agenda auprès des 27 Etats membres de l’UE, du Parlement européen et de la Commission. La France a renforcé ses relations bilatérales avec les pays européens, comme en témoignent le traité du Quirinal (2021) signé avec l’Italie, la Déclaration commune franco-néerlandaise (2021) et la visite des dirigeants des pays baltes à Paris (2023). D’anciens formats, tels que le Triangle de Weimar avec l’Allemagne et la Pologne, ont été également redynamisés.
Immigration et écologie
Et pourtant les Français sont seulement 46,2 % à estimer que la France exerce une influence en Europe, selon la quatrième vague de l’enquête électorale réalisée par Ipsos, en partenariat avec le Cevipof, l’Institut Montaigne, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde. Ce chiffre grimpe à 68,6 % chez les agriculteurs (l’engagement du gouvernement dans la révision de la politique agricole commune y a sa part), suivi de 57,1 % chez les cadres supérieurs, mais chute à 38,5 % auprès des retraités et des employés. Les électeurs d’Emmanuel Macron en 2022, ainsi que les moins de 35 ans, sont plus nombreux à penser que la France pèse dans la prise des décisions européennes : 65,2 % et 46,7 % respectivement. A l’inverse, seuls 28,4 % des électeurs de Marine Le Pen et 19,8 % de ceux d’Eric Zemmour pensent que la France a de l’influence au sein de l’UE, ce qui s’explique en partie par une vision de la souveraineté stricto sensu nationale que défendent ces deux partis.
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