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À Grenoble, la consommation en eau des semi-conducteurs pose question

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850 à 2 000 manifestants se sont réunis début avril à Grenoble pour dénoncer l’accaparement des ressources en eau par les industriels de la microélectronique. Que le mouvement soit né et prospère dans la capitale des Alpes ne doit rien au hasard. Bien que la formule soit galvaudée, la ville …

850 à 2 000 manifestants se sont réunis début avril à Grenoble pour dénoncer l’accaparement des ressources en eau par les industriels de la microélectronique. Que le mouvement soit né et prospère dans la capitale des Alpes ne doit rien au hasard.

Bien que la formule soit galvaudée, la ville et sa presqu’île sont ce qui se rapproche le plus d’une « Silicon Valley à la française ». Aujourd’hui connue pour ses géants du numérique, la vallée californienne tire son nom de son rôle historique dans les semi-conducteurs, dont le silicium est la matière première. Avec ses universités, ses instituts de recherche et les entreprises de semi-conducteurs qui en sont issues, le chef-lieu de l’Isère peut prétendre à ce titre.

Enthousiasme présidentiel, colère des riverains

« Le collectif est né d’une forme « d’alignement d’étoiles », entre l’annonce de l’extension du site de STMicroelectronics à Crolles et la canicule de 2022, » commence un porte-parole de StopMicro au cours d’une conférence de presse mouvementée. C’est ce collectif qui est à l’origine de la manifestation qui s’est achevée près du centre de recherche et développement de STMicroelectronics (ST), sur la presqu’île de Grenoble.

presqu'île de Grenoble flouté sur Google Maps

Sur Google Maps la presqu’île de Grenoble est floutée du fait de la présence de nombreux sites protégés, que ce soit le centre de recherche et développement de ST, des instituts de recherches du CEA ou autres. Capture d’écran&nbsp: Siècle Digital / Google Maps.

L’entreprise franco-italienne et le projet d’agrandissement dans la région où elle est implantée depuis 30 ans sont la cible principale de StopMicro, qui en a tiré son nom. Le hasard ayant voulu qu’une autre entreprise du secteur, Soitec, dévoile un même projet dans une ville limitrophe. La société a été ajoutée à la contestation, mais depuis, sa direction a suspendu ses plans.

L’accueil a été radicalement opposé côté pouvoirs publics, très enthousiastes. Ces projets sont arrivés à un moment opportun pour le gouvernement. Entre la pénurie de semi-conducteurs du début des années 2020 et la volonté de souveraineté, Emmanuel Macron en personne a fait le déplacement pour l’annonce de l’extension et présenter la « stratégie électronique 2030 ». Cette dernière s’intègre au Chips Act européen ainsi qu’au plan France Relance.

« En étant parmi vous aujourd’hui, je viens célébrer une bonne nouvelle », a lancé, ravi, le président de la République, simplement perturbé par un malaise dans l’auditoire à cause de la chaleur. Dans ce discours, destiné à toute la filière, il a notamment insisté sur la contribution des semi-conducteurs à la « transition climatique ». Une vision guère partagée par les militants de StopMicro. Au cœur de ce désaccord, l’accaparement des ressources en eau. Une priorité résumée d’un mot d’ordre&nbsp: « De l’eau, pas des puces ».

Les semi-conducteurs boivent beaucoup d’eau…

Comme le note le volet industriel du Plan Eau du gouvernement, dévoilé fin mars, « L’eau est essentielle à la fabrication des composants électroniques ». L’électronique est l’une des 19 filières industrielles identifiées comme devant faire des efforts de sobriété hydrique.

ST signale à Siècle Digital qu’elle ne fait pas partie des sociétés citées par le Plan Eau comme devant faire des efforts. Cette question n’en demeure pas moins une, comme le reconnaît l’entreprise elle-même dans son rapport développement durable annuel. « Nous reconnaissons notre responsabilité dans les défis liés à l’eau partout où nous opérons et nous continuons à renforcer nos efforts pour les relever ».

La consommation en eau d’une fabrique (ou FAB) de semi-conducteurs varie selon plusieurs critères&nbsp: la modernité des installations, les priorités de l’entreprise, l’accessibilité de la ressource… Mais reste systématiquement significative. À Crolles, l’usine de ST doit doubler sa production de plaquettes (ou wafer) de 300mm. Les wafer sont des disques de matériaux semi-conducteurs sur lesquels sont gravés les circuits intégrés, 300mm désigne la taille de ces disques, ici, la plus élevée qui soit.

« Nos modèles montrent que le process entier d’un wafer, dans une FAB de 300mm en gros volume de production, va consommer grosso modo entre 5 et 15 m3 d’eau par wafer » indique à Siècle Digital Cédric Rolin, Program manager Sustainable Semiconductor Technologies and Systems (SSTS) à l’Institut de microélectronique et composant (IMEC), l’un des principaux instituts de recherche de la planète dans le domaine des semi-conducteurs.

Le site de STMicroelectronics, extension comprise, devrait consommer 19 200 m3 d’eau potable par jour selon les documents de l’entreprise. Cela correspond à la fourchette indiquée par Cédric Rolin et aux estimations de StopMicro.

Pourquoi une usine de semi-conducteur a-t-elle besoin d’autant d’eau&nbsp? La ressource a trois utilités principales. La première d’entre elles est de nettoyer les plaquettes avec de l’eau ultra-pure fabriquée artificiellement. Produire des puces c’est travailler au niveau du nanomètre&nbsp: l’air des salles blanches où le processus est réalisé est 10 000 fois plus pur que celui d’un bloc opératoire. « Tout ce qui entre en contact avec un wafer doit être ultra-pur. À la fois l’atmosphère dans lequel il est transporté, mais aussi l’eau avec laquelle il entre en contact » décrypte Cédric Rolin. STMicroelectronics évalue à environ 66 % de ses usages en eau cette étape de nettoyage.

« Le deuxième consommateur d’eau se situe au niveau du traitement des effluents gazeux » rapporte le chercheur de l’IMEC. « De l’eau en particule très fine qui va, d’une certaine façon, nettoyer les « fumées » issues du process. Certains composés gazeux se condensent et les particules vont se dissoudre et se diluer dans l’eau ». Enfin, le troisième et dernier grand consommateur d’eau est le système de refroidissement de l’installation. Une FAB produit beaucoup de chaleur résiduelle qu’il faut éliminer. L’ensemble représente le dernier tiers de l’eau utilisée par ST.

Schéma sur l’utilisation de l’eau dans une FABS de semi-conducteurs. Image&nbsp: STMicroelectronics

… Parce que dans 20 ans il n’y en aura plus&nbsp?

Cette consommation d’eau peut être mal vue par la population locale, alors qu’elle-même doit se résoudre à des privations. C’est ce qu’il s’est passé en 2022, lorsqu’une sécheresse majeure s’est abattue sur l’Isère. La préfecture a ordonné des restrictions envers les particuliers, tels que l’interdiction de remplir sa piscine ou d’arroser son jardin en journée. Une privation exceptionnelle certes, mais qui amène des doutes sur le développement de la consommation locale des industriels.

Interrogé à ce propos, à l’occasion d’une webconférence sur le projet de ST le 10 avril, Bruno Maneval, directeur de l’environnement et des services publics de Grenoble Alpes Métropole, a balayé le problème. « Il y a des confusions sur ce qui est en tension et ce qui ne l’est pas » a-t-il jugé. Il a assuré que les difficultés de 2022 étaient localisées, du fait de l’organisation du réseau et non de tensions généralisées sur l’accès à eau.

Au-delà de l’événement de 2022, le dérèglement climatique implique une baisse de la ressource dans les décennies à venir. Il s’agit de la prendre en compte.

Pour réduire l’extraction de ressources en eau, les professionnels ont la possibilité de la recycler. Une eau ultra-pure est contaminée lors de son usage, mais elle peut toujours servir pour traiter les effluents gazeux ou dans une tour de refroidissement. Dans son dernier rapport, STMicroelectronics rapporte recycler, réutiliser, 42 % de son eau. En outre, l’entreprise a annoncé « une ligne pilote pour recycler une partie des rejets aqueux finaux de la station d’épuration des eaux usées » à Crolles.

Le projet a été lancé l’année passée et doit atteindre son rythme de croisière cette année, avec jusqu’à 40 m3 recyclés par heure. « Les nouvelles FAB, conçues aujourd’hui, sont extrêmement bien pensées en termes de recirculation de l’eau » confirme Cédric Rolin. Il prévient cependant qu’à l’inverse, une fois l’usine sur pied, il est plus compliqué et coûteux de la transformer.

Schéma sur le traitement de l’eau à Crolles par ST. Image&nbsp: STMicroelectronics

La modernité des installations serait la clef, malheureusement ce n’est pas le cas à cause de l’effet rebond. Cet effet, particulièrement vérifié dans les nouvelles technologies, signifie que les gains d’efficacité, par exemple sur la consommation en eau, sont annulés par l’évolution de la production. « Avec une technologie plus avancée, mettons que cela double le nombre d’étapes de fabrication et donc on double les impacts en général », décrit le chercheur. Le cas ST l’illustre.

L’entreprise s’est donnée comme objectif de consommer 20 % d’eau en moins par unité, par rapport à 2016. En 2023, cette réduction plafonne à 10 %. Elle s’est aussi fixée de recycler l’eau à 50 % en 2025, elle en est à 42 %. Ces chiffres, issus du rapport développement durable annuel du groupe publié en avril 2024, sont égaux, voire moins bons sur la consommation que ceux du rapport de l’année précédente. Les deux cas sont justifiés de la même façon&nbsp: « Cette évolution s’explique par l’utilisation accrue de technologies de fabrication avancées, dont certaines ont une empreinte de fabrication plus importante ».

L’eau qui passe par la FAB de ST finit par revenir à la nature. À 85 % sous forme liquide, dans la rivière Isère, le reste par évaporation. Elle passe avant, et heureusement, par des étapes de traitements. Ces dernières peuvent toutefois ne pas suffire, « les effluents liquides d’une FAB peuvent contenir pas mal de nutriments (nitrates et autres) et donc mener à une « explosion d’algues » qui ont tendance à étouffer les cours d’eau. C’est la notion d’eutrophisation de l’eau » révèle Cédric Rolin de l’IMEC. Dans l’Isère, un arrêté préfectoral fixe le plafond des rejets autorisés pour STMicroelectronics. Trop généreux du point de vue de StopMicro.

Globalement, dans le bassin-versant du Rhône, les prélèvements en eau se répartissent à 50 % pour l’irrigation, 25 % pour les centrales nucléaires et 5 % pour les activités industrielles incluant ST et Soitec. STMicroelectronics met en avant l’usage de ses puces dans des technologies destinées à lutter contre le réchauffement climatique. « Nous sommes convaincus que la technologie à un rôle essentiel à jouer pour relever les défis environnementaux, sociaux et économiques auxquels notre monde est confronté » écrivait en avril Jean-Marc Chery, PDG de l’entreprise.

Pour StopMicro les composants de ST ne servent qu’aux « gadgets électroniques », éloignés des considérations de souveraineté avancées par Emmanuel Macron. Une parole à la radicalité assumée. Le but est de dépasser la question de l’eau pour amener au débat de la sobriété numérique. Dans un climat ambiant technosolutionniste cette question est effectivement peu ou pas traitée . À l’heure du changement climatique, cela pourrait valoir le coup au moins d’entamer une réflexion sur le sujet et de s’éloigner des caricatures d’Amish ou autre utilisées jusqu’au sommet du pouvoir.

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