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De Taïwan aux États-Unis, l’industrie des semi-conducteurs face à la sécheresse

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Les puces ont émergé sur la scène médiatique à l’aube des années 2020. Une pénurie de ces composants indispensables à tout produit électronique a mis à l’arrêt des usines automobile et rendu difficilement accessible des consoles de jeux ou des smartphones. Cette disette a des origines diverses&nbsp: Covid-19, tensions …

Les puces ont émergé sur la scène médiatique à l’aube des années 2020. Une pénurie de ces composants indispensables à tout produit électronique a mis à l’arrêt des usines automobile et rendu difficilement accessible des consoles de jeux ou des smartphones. Cette disette a des origines diverses&nbsp: Covid-19, tensions internationales… Et dérèglement climatique.

Les semi-conducteurs plutôt que l’agriculture&nbsp?

Il y a trois ans, Taïwan a traversé sa pire sécheresse depuis 56 ans. Paradoxalement, l’île est l’un des lieux les plus humides de la planète, il y pleut environ deux fois plus que dans le Finistère. Seulement, à la différence de la Bretagne, Taïwan dépend en grande partie de trois ou quatre typhons saisonniers pour être alimenté en eau. En 2021, cela fait deux ans qu’aucun de ces phénomènes météorologiques ne s’était produit, amenant les réservoirs à des niveaux particulièrement préoccupants. Taïpei a été contraint d’imposer des rationnements en eau à ses deux principales industries, l’agriculture, domaine classiquement le plus gourmand, et la production de semi-conducteurs.

Son entreprise phare dans le secteur, la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) fournit à elle seule 90 % des puces avancées de la planète. L’île de 36 000 km2 fournit 18 % des semi-conducteurs en circulation dans le monde. Une prépondérance commerciale qui a pris un tournant géopolitique&nbsp: plusieurs leaders politiques locaux estiment qu’elle protège d’une invasion chinoise. On parle alors du « bouclier de silicium », le silicium étant la matière première d’une majorité de ces composants électroniques. Aussi, lorsque la sécheresse a imposé des économies d’eau, un rapport de l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’ONU constate que « bien que les deux secteurs aient subi des mesures de rationnement, l’industrie des semi-conducteurs a clairement eu la priorité sur la production de riz ».

L’eau représente une problématique tout à fait majeure pour l’industrie. Un récent rapport de l’agence S&P Global estime que le manque d’eau dans les décennies à venir représentera une menace sérieuse. Le secteur des semi-conducteurs a des besoins énormes, « à l’échelle mondiale, les fabricants de puces consomment déjà autant d’eau que Hong Kong, une ville de 7,5 millions d’habitants », note S&P.

Cet appétit vient de l’obligation de fabriquer les puces dans des milieux ultras propres. La moindre particule peut ruiner une production. Pour éviter cela, la fabrication se déroule dans des salles blanches où l’air est 10 000 fois plus pur que dans un bloc opératoire. Pour nettoyer tous les outils et matériaux qui entrent dans le processus, il faut une eau artificiellement immaculée, fabriquée par les entreprises. La ressource a aussi des emplois plus classiques dans l’industrie, comme celui de refroidir les installations très dépensières en énergie ou « nettoyer » les gaz toxiques.

À Taïwan, 2021 a donné lieu à la mobilisation de camions-citernes à l’entrée des campus scientifiques où se trouvent les « fabs » de semi-conducteurs. L’industrie a tout de même dû ralentir de 15 % sa consommation, aggravant la pénurie mondiale alors en cours.

carte de Taiwan avec installation TSMC

Consommation en eau des trois parcs scientifiques de TSMC à Taïwan en 2021&nbsp: Rapport développement durable TSMC 2022.

À Tokyo, Bruxelles ou Washington, la concentration de la production, et le risque que cela représente, est subitement devenu une évidence. Au nom de la souveraineté industrielle, de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des « Chips Act » (plans de soutien pour l’implantation locale de fabs) ont surgi de toute part. Outre ces considérations, les tensions croissantes entre les deux rives du détroit de Taiwan et surtout entre la Chine et les États-Unis ont joué. Dans l’équation, les risques climatiques ont tenu un rôle anecdotique. Surtout dans le cas américain.

L’impact climatique n’est pas franchement prioritaire aux États-Unis

Le Chips and Science Act ratifié par Joe Biden à l’été 2022 a remporté un grand succès, avec des dizaines de milliards de dollars investis. TSMC a décidé de développer pour la première fois une production de puces avancées aux États-Unis. Deux usines à la pointe de la technologie valant 40 milliards de dollars, sont en train de sortir de terre. Localisation&nbsp? La banlieue de Phoenix, réputée pour être la grande ville la plus chaude des États-Unis, dans l’État d’Arizona, l’un des plus arides du pays.

L’Arizona a connu de façon récurrente des sécheresses au cours des deux dernières décennies. Le débit du fleuve Colorado, difficilement partagé par sept États, inquiète. En 2023, la gouverneure démocrate Katie Hobbs a dû mettre en pause des projets immobiliers dans la région de Phoenix&nbsp: une agence de l’État a estimé que les ressources en eau souterraine, alternative au Colorado, étaient préoccupantes. Selon un rapport, elles seront insuffisantes pour répondre à la demande du siècle prochain alors qu’elles sont difficilement renouvelables.

Sous le soleil arizonien, TSMC n’est pas seule. Elle rejoint son concurrent Intel, installé depuis les années 80 et en train d’agrandir ses installations. L’Arizona est à la tête des investissements dans le pays depuis 2020, les élus locaux ont été parmi les premiers à défendre l’adoption du Chips Act. À préciser que l’État est l’un des lieux d’implantation les plus anciens de l’industrie. Les entreprises de ce monde encore balbutiant de la microélectronique s’y sont retrouvées dès la fin des années 40.

Photographie&nbsp: Intel.

Pour susciter un tel engouement, il faut bien que la région dispose de quelques atouts. Elle est d’abord stable, peu sujette aux catastrophes naturelles si l’on écarte les sécheresses. Tout un précieux écosystème s’est développé au service de « fabs » ayant besoin de milliers de sous-traitants. De plus, alors que la main-d’œuvre disponible va commencer à poser des problèmes, l’Arizona State University, spécialisée en ingénierie, est un argument à ne pas négliger.

Plus trivialement, TSMC bénéficie d’incitations en tout genre. Outre l’aide du Chips Act, l’entreprise a pu compter sur des millions de dollars de travaux d’infrastructures et autres avantages fiscaux. D’après S&P, la variété des sources d’eau, Colorado, souterrains, deux rivières, plus le recyclage, permettraient d’écarter les principaux dangers immédiats d’une sécheresse.

À quel prix&nbsp? « Nous voulons devenir le plus grand fabricant de semi-conducteurs et de puces électroniques au monde. Nous pouvons faire cela. Nous avons suffisamment d’eau, mais les prix de nos denrées alimentaires vont augmenter parce que nous n’allons pas produire autant de nourriture », voilà l’opinion donnée par le professeur de droit de l’eau Rhett Larson au Washington Post il y a un an. L’enseignant de l’Arizona State University estime que le succès de l’État dans les semi-conducteurs sera réalisé aux dépens de l’agriculture. « Parfois, il faut abandonner certains rêves pour en réaliser d’autres ».

Quelles réponses&nbsp?

Des mesures sont à l’étude pour minimiser les prélèvements en eau de l’industrie, tant du côté des entreprises elles-mêmes que des autorités. La situation l’impose, en particulier à Taïwan. Les périodes difficiles se succèdent, encore aujourd’hui. Selon l’agence de presse nationale Central News Agency, le niveau actuel des réservoirs permet de tenir trois mois seulement. La situation peut cependant évoluer dans le bon sens rapidement, la saison sèche touche à sa fin. Il n’empêche, les autorités estiment que les précipitations vont baisser de 10 % durant la saison sèche d’ici 2050. Le nombre de typhons diminuera de 15 % sur la même période. Pour Taïwan comme pour l’Arizona, il y a une problématique de long terme.

Les mesures de réponses de TSMC en cas de sécheresse à Taïwan. Impression d’écran&nbsp: rapport sur le développement durable 2022 de TSMC.

Des projets de pipeline sont à l’étude pour faire venir le précieux liquide dans les zones qui en manque le plus. Idem pour des usines de dessalement, qui ne vont pas sans défaut, ou des installations de recyclage. Dans la revue Diplomatie, Franck Galland, spécialiste des questions sécuritaires liées à l’eau, évoque pour Taïwan un plan total de 13 milliards de dollars d’investissement sur quatre ans pour répondre à la problématique « en permettant notamment d’augmenter les réserves en eau du pays, passant de 28 % à 50 % de la consommation ».

Heureusement, le monde de la microélectronique s’implique également, ne serait-ce que pour éviter de voir son activité perturbée. Les fabs modernes de semi-conducteurs font partie des usines où le management des ressources est le plus étudié et optimisé, mais cela ne règle pas tout. Plus une puce est avancée, plus son processus de fabrication comporte d’étapes et donc plus il consomme de l’eau.

La solution pourrait être de mettre sur pause la quête d’une puce toujours plus performante, mais ce n’est guère dans l’air du temps. Selon S&P, la demande en eau de TSMC pourrait être en 2030 « de 1,4 à 2,0 fois supérieure à celle de 2022, en fonction de l’expansion de la capacité et des progrès de l’entreprise dans le développement de nœuds avancés ». Pour le cabinet d’analyse, « de tels besoins en eau mettraient à l’épreuve la capacité de TSMC à gérer cette ressource, ce qui pourrait perturber les activités de la fonderie ». L’entreprise s’est engagée à atteindre le stade zéro émission carbone en 2050. Il n’existe pas d’engagement similaire sur la consommation d’eau, si ce n’est de vagues promesses.

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