Home Divers À Madagascar, un film grinçant sur la lutte des paysans contre l’expropriation

À Madagascar, un film grinçant sur la lutte des paysans contre l’expropriation

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Publié le 23 octobre 2024

Lecture : 4 minutes.

C’est un nouvel épisode de la lutte entre le pot de terre et le pot de fer qu’illustre Sitabaomba, Chez les zébus francophones, le documentaire du réalisateur malgache Nantenaina Lova. Antananarivo, ville aux douze collines, a longtemps été rurale. La capitale de Madagascar s’est transformée en zone urbaine sous la colonisation. Le titre du film porte le double sceau de l’héritage colonial et postcolonial. Colonial, car il provient du fait que les paysans continuent de donner des ordres à leurs zébus en français, comme les colons de l’époque. Postcolonial car Sitabaomba (« site à bombes ») est le quartier où se déroule l’histoire qui doit son nom à un camp militaire datant de l’époque de l’alliance politique avec l’URSS.

Le film commence en 2016. Ly, agriculteur, mène une fronde contre l’accaparement progressif de ses terres et celles de ses voisins pour la construction d’une route qui va être inaugurée lors du sommet de la francophonie. Les mécontents forment « un hameau peuplé d’irréductibles paysans malgaches (qui) résistent encore et toujours », comme le dit la voix off de Claudia Tagbo. Sa diction et les multiples images et proverbes qu’elle utilise sont inspirés de l’art oratoire malgache, le kabary. Ce choix narratif répond à l’intention affiché par le réalisateur malgache né en 1977 : « arracher le spectateur du regard occidental ».


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La comédienne franco-ivoirienne nous conte le destin de ceux qui cultivent les anciens marais devenus rizières depuis 40 ans. Ils sont un grain de sable dans la marche forcée vers le développement souhaité par le président de la République. Sous couvert de lutte contre la pauvreté, une véritable entreprise d’expropriation des paysans est menée au profit de spéculateurs derrière lesquels on retrouve des généraux et des grands groupes qui utilisent des prête-noms dans la plus grande des opacités, avec la complicité de l’État, propriétaire des terres.

Transformations absurdes

Sans attendre les décisions de justice, sans égards pour les recours devant les tribunaux, les pelleteuses mettent devant le fait accompli les paysans dont la surface des champs se rétrécit. Les exécutants des basses œuvres ont parfois été eux-mêmes victimes d’expropriation, exposant ainsi toute le cynisme d’un système d’exploitation où le dominé se met au service du dominant contre ses propres intérêts de classe. Les présidents changent et, malgré les promesses électorales, les pratiques demeurent : en 2022, où se situe la fin du film, ce sont des ensembles HLM qui grignotent encore un peu plus sur les cultures…

Je crains que ce que l’on vit à Madagascar se généralise partout car l’Afrique est bien souvent le laboratoire du pire, l’endroit où l’on teste ce qui peut être généralisé ou pas.

Le réalisateur malgache Nantenaina Lova

Sitabaomba, Chez les zébus francophones parle du cas particulier de Madagascar mais il évoque plus largement la mondialisation, les transformations absurdes qu’elle impose et questionne la notion de « progrès ». Des paysans qui parviennent à se nourrir et à bien vivre se voient privés de leurs moyens de subsistance et, malgré leur farouche résistance, ils ne peuvent (presque) rien y changer. « Il n’est pas difficile d’imaginer que des paysans sans terres et donc sans attaches à leur pays chercheront à fuir et gonfleront les statistiques de l’immigration clandestine en France, notamment à Mayotte ou La Réunion », prévient Nantenaina Lova, qui ajoute : « Je crains que ce que l’on vit à Madagascar se généralise partout car l’Afrique est bien souvent le laboratoire du pire, l’endroit où l’on teste ce qui peut être généralisé ou pas. »

Malgré tout, une leçon d’espoir

Un constat fataliste pour un film pessimiste ? Non, car le documentaire est aussi une leçon d’espoir. La lutte se poursuit malgré tout et sa mémoire se transmet grâce à une troupe de comédiens qui vient donner des ateliers de formation au spectacle de marionnettes à des enfants. Les scènes qu’ils jouent racontent le combat contre les injustices et ajoutent à l’originalité du ton celle de l’image. Dans cette réappropriation du réel – pleine d’inventivité et d’humour – par les plus jeunes, il y a la graine du changement possible : « Avec Eva Lova-Bély, ma co-autrice, nous sommes partis sur l’idée d’un film ironique, un peu grinçant et on a essayé de s’y tenir en restant fidèle à un certain humour malgache qui est le signe distinctif d’un bon orateur. D’ailleurs, dans notre langue, pour exprimer le désespoir face aux situation aberrantes et tristes qu’on rencontre au quotidien, nous avons coutume de dire “mampihomehy” qu’on peut traduire par “ça fait bien rire”. Rire de l’injustice plutôt que pleurer, c’est une forme de pudeur, résister plutôt que s’apitoyer, c’est une forme de courage. »


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En regardant un film malgache à la télé, Ly affirme que celui-ci est bien meilleur que les films étrangers et que les Malgaches savent raconter des histoires. On est bien d’accord avec lui et Sitabaomba, Chez les zébus francophones, sélectionné à de multiples festivals internationaux, le prouve.

Sitabaomba, Chez les zébus francophones de Nantenaina Lova (documentaire, 1h43). Sortie dans les salles de cinéma françaises le 23 octobre 2024


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