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Ahmed Souab : « Certaines dispositions du nouveau code électoral sont en contradiction avec la constitution tunisienne »

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Après une longue période d’incertitude propice à alimenter rumeurs et spéculations, le calendrier s’est accéléré autour de l’élection présidentielle tunisienne. La date a été officiellement annoncée début juillet, puis le président Kaïs Saïed a finalement annoncé son intention de se représenter. Le processus se met donc en place, avec une clôture du dépôt des candidatures le 6 août et une campagne électorale qui débutera le 14 septembre pour prendre fin le 4 octobre, deux jours avant le premier tour du scrutin.

Juridiquement toutefois, beaucoup de nouveautés sont à prévoir, avec un nouveau code électoral, mais aussi une nouvelle constitution adoptée en 2022. Le dispositif est-il bien en place et conforme aux lois et aux usages juridiques ? Pour l’avocat et ancien juge au tribunal administratif Ahmed Souab, certaines dispositions risquent de poser problème au moment de leur application.


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Jeune Afrique : Le processus électoral est maintenant sur les rails. Quel regard portez-vous sur son démarrage ?

Ahmed Souab : L’Instance Indépendante Supérieure des Elections (Isie) a jusqu’ici abondamment utilisé le décret 54 puis a publié, au démarrage de la période électorale, un communiqué menaçant à l’égard de ceux qui induisent en erreur les électeurs et porteraient atteinte à l’instance. Elle a aussi avisé dans ce texte les candidats qu’elle entamait également un contrôle rigoureux des dépenses de campagne. Or le candidat Kaïs Saïed, pour l’annonce de sa candidature depuis Borj El Khadra (Sud), a utilisé les moyens de l’État, ce qui contrevient aux dispositions de l’Isie qui se doit d’évaluer le coût de cette opération supportée par l’État.

Quel est votre regard de juriste sur les réalisations du premier mandat de Kaïs Saïed, qui a mis sur pied tout un nouveau système depuis 2019 ?

Avec une approche économique très étatiste et une approche internationale très souverainiste, son programme de libération nationale tient en quelques objectifs. Il s’agit de la restitution des biens spoliés se trouvant à l’étranger, lancée en octobre 2020 et pour laquelle le ministre des Affaires étrangères s’est engagé auprès du parlement, en octobre 2023, à produire un rapport. Mais il n’y a pas eu de suite.


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Concernant le grand projet de la cité médicale de Kairouan annoncé en 2020, outre la publication d’un décret en 2022 et la mise en place d’une unité de la réalisation par objectif, rien n’a été annoncé. Quant aux sociétés communautaires, toutes les institutions ont été mises à contribution et finalement moins de 70 entreprises de ce type ont été créées alors que ce modèle, sous le nom de « sociétés indigènes », avait déjà été expérimenté – sans succès – vers 1910 à la période du protectorat. Depuis mars 2022, on ne sait rien de ces entreprises : ni leur chiffre d’affaires, ni leur objet, ni la richesse ou les emplois créés. La conciliation nationale est aussi un projet dont on ne sait rien si ce n’est que sa gouvernance avait été remaniée plusieurs fois avec un redémarrage des travaux en mars 2024.

L’adoption d’une nouvelle constitution a tout de même été un temps fort de la précédente législature…


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Mais la série de projets que je viens de lister ne se conforme pas à la transparence et l’accès à l’information garantis par la Constitution. Il en est de même pour le rapport final sur l’assainissement de la fonction publique, qui a été remis le 18 mars sans que des décisions nous soient parvenues. Depuis le 25 juillet 2021, par ailleurs, le droit à l’information est bafoué et il semble que les citoyens soient devenus des sujets ou les ouailles du berger.

Autre pilier du système politique de Kaïs Saïed : la gouvernance par la base avec le Conseil des districts et régions, qui fait office de deuxième chambre dont les compétences, l’organisation et les attributions n’ont pas été précisées par un texte préalable. Du jamais vu de mémoire de juriste, surtout que selon les normes, la fonction crée l’organe et non le contraire.

Concernant le processus électoral, beaucoup de candidats se plaignent de procédures trop complexes et restrictives. En particulier de l’exigence d’une procuration spéciale pour ceux qui ne peuvent par retirer les formulaires de parrainage en personne. Quel est le problème ?

Cette demande d’un formulaire spécial a été annoncée tout récemment. Il s’agit d’un recul et d’une transgression de l’article 44 de la loi électorale qui parle de mandat en termes généraux. On n’a donc pas à rétrécir le champ d’application du mandat en exigeant un document spécial. Une règle de droit veut qu’un texte écrit en termes généraux ne peut être réduit en donnant lieu à des mandats spéciaux qui portent sur des cas spécifiques. C’est tout l’esprit de la jurisprudence administrative : tous les textes instituant des procédures incombant à l’administration doivent être interprétés de manière restrictive. par contre, les règles de droit concernant les libertés et les droits – et c’est bien le cas ici – doivent être interprétées de manière extensive.

Lotfi Mraihi, président de l’Union populaire républicaine (UPR), est concerné par cette situation puisqu’il a été condamné pour crime électoral et est inéligible à vie. Cette condamnation vous paraît-elle étayée sur le plan juridique ?

Dans les faits, on ne sait à quand remonte le crime électoral qu’aurait commis Lotfi Mraihi. Certains disent qu’il aurait voulu acheter des parrainages et il a écopé, en première instance, d’une interdiction de se présenter à vie à des élections. Mais personne n’est capable de dire de quand datent ces faits. S’ils remontent à 2019, on ne peut appliquer la nouvelle mouture de l’article 161 de la loi électorale de septembre 2022, qui n’a pas d’effet rétroactif. Si au contraire les faits ont eu lieu en 2024, il faut relever que le nouvel article 161 porte uniquement sur les électeurs, pas sur les parrains.

Que dit précisément ce texte ?

L’ « article 161 nouveau », comme il est désigné, ne concerne manifestement et clairement que les élections législatives de la première chambre. Le texte spécifie : « Est puni d’une peine d’emprisonnement allant de deux à cinq ans et d’une amende d’un montant allant de 2 000 à 5 000 dinars : quiconque coupable d’avoir présenté des dons en numéraires ou en nature en vue d’influencer l’électeur ou utilise les mêmes moyens pour amener l’électeur à s’abstenir de voter que ce soit avant, pendant ou après le scrutin, la juridiction prononce obligatoirement dans ce cas la déchéance de la qualité de membre à l’Assemblée des représentants du peuple à l’égard du candidat et l’interdiction du droit de vote à perpétuité ».

Est-ce cet article 161 lui-même qui est problématique ?

Oui. Il ne semble pas conforme aux principes du droit électoral et de la participation à la vie publique tels que définis dans les conventions internationales. Et il va à l’encontre de l’article 55 de la constitution élaborée par Kaïs Saïed, qui impose en cas de restriction des droits et libertés que les principes de la proportionnalité et de la substance du droit soient respectés. Or une condamnation à une inéligibilité à vie à des élections revient à prononcer la peine capitale d’un droit fondamental. Non seulement il annihile la substance, mais il est de toute évidence si disproportionné qu’il pourrait être porté pour examen devant un juge pénal ou administratif.

Et selon vous il édicte des règles qui ne s’appliquent pas dans le cadre de l’élection présidentielle ?

Les dispositions ne requièrent aucune interprétation : elles ne concernent clairement et exclusivement que le scrutin de la première chambre. S’il demeure un doute sur ce point, c’est au juge d’interpréter en se conformant alors à certaines règles constitutionnelles, législatives ou jurisprudentielles des principes généraux de droit. L’une des règles d’interprétation figure d’ailleurs dans l’article 55 de la Constitution de Kaïs Saïed, qui énonce qu’il est « du devoir des instances juridictionnelles de protéger les droits et libertés contre toute atteinte énoncée plus haut ». Aucune restriction n’est donc possible. Par ailleurs en droit pénal, il est admis depuis une décennie partout dans le monde que concernant le texte pénal – et nous sommes bien devant un texte pénal dit « spécial », puisqu’en lien avec les élections – le juge doit respecter le principe de l’interprétation restrictive du droit.

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