Publié le 19 décembre 2024
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Après seize années d’absence, voici le design revenu à la Biennale d’art contemporain de Dakar. Logée dans une aile de l’ancien palais de Justice, la section ad hoc s’expose dans une scénographie riche et dynamique – à l’image de son commissaire, Ousmane Mbaye. Reconnaissant des expériences passées, les pieds ancrés dans le présent et la tête plongée dans le futur, le designer chevronné déroule : « Ce qui m’intéresse, c’est de montrer que le design en Afrique est passé à un autre niveau. » Une autre dimension aussi : « Parce que les objets y sont conçus manuellement, on a tendance à associer le continent à l’artisanat. Mais le design dépasse ce cadre : c’est une pensée créative de l’objet dans son utilité, son ergonomie, sa fonctionnalité. »
Ce parcours, qui part des fondements de la discipline pour exposer la pluralité de ses expressions et le foisonnement de ses créateurs contemporains, la scénographie le retrace clairement.
Un parcours centré sur la matière-objet
Dans les couloirs du gigantesque bâtiment, les visiteurs – jeunes dakarois tous smartphones dehors, voisins Africains venus spécialement pour l’occasion, étrangers et membres de la diaspora de passage – déambulent. À l’entrée de l’aile ouest, voici déjà une première occasion pour un selfie auprès des céramiques de Faty Ly, disposées dans d’anciennes latrines couleur ocre au sol ensablé.
« Toutes les matières sont nobles. Elles dépendent de ce que l’on en fait. » insiste Ousmane Mbaye. « Il était important de revenir à cette matière première [terre, sable…] et de montrer comment les designers l’exploitent. » Cette matière et ses objets auxquels l’aménagement du bâtiment confère davantage d’ampleur encore. Chaque espace éclaire d’une lumière différente – naturelle ou artificielle – les objets, révélant de nouveaux angles, reliefs, finitions.
Le décalage du calendrier de la Biennale de six mois a chamboulé les habitués. Mais il aura eu le mérite de laisser un délai supplémentaire pour les nombreux travaux nécessaires (maçonnerie, boiserie, électricité, peinture, vitrage…) dans les ailes nouvellement investies pour cette édition 2024. « Avec l’équipe technique de la Biennale, on aura mis entre trois et cinq mois au total pour la section », reprend Ousmane Mbaye. Aucune anicroche ne pouvait le détourner de son objectif : montrer le design dans sa pluralité et sa vitalité.
Une pléiade de designers, un éventail de techniques
De salle en salle, les techniques défilent : de la matière première à ses usages, toujours magnifiés et optimisés par les designers venus du continent tout entier. Les différentes techniques de travail sont exposées dans un agencement didactique : du textile brut à ses transformations tissées et brodées pour la mode – une première pour la Biennale de Dakar, l’industrie de l’habillement étant en forte croissance sur le continent –, des bouchons de bouteille en plastique assemblés en luminaires, sans oublier le bois et le métal utilisés pour un ameublement profilé. Le fruit d’un travail acharné d’Ousmane Mbaye, dont le mobilier élégant, épuré et coloré occupe lui-même la cafétéria à l’entrée du bâtiment de la Biennale.
« Quand on a fait la sélection, il n’y avait encore rien en termes de scénographie. Il fallait construire tout le projet. J’ai cherché sur internet, passé des nuits et des journées entières à taper « design Afrique » sur les réseaux, sur internet, à aller dans les usines du continent, à cultiver le bouche-à-oreille. »
Le résultat ? Vingt-six artistes pour une moyenne d’âge qui avoisine les 30 ans. Des designers parfois exposés pour la première fois. À tous, la Biennale offre une plateforme exceptionnelle. Il suffit d’écouter la jeune designeuse ivoirienne Lisa Colombe Adjobi : « Monsieur Jean Servais Somian [designer ivoirien reconnu également exposé, à l’initiative en 2021 du Young Designers Workshop à Abidjan, ndlr] a apprécié mon travail et a parlé de moi. » La designeuse formée en architecture d’intérieur a ainsi pu exposer trois créations, dont une console en bois. « En restant cinq jours à Dakar, j’ai eu le temps de voir l’univers d’autres artistes au-delà des Ivoiriens que je connais. Par exemple des Nigérians ou du designer malien Cheick Diallo. » Reconnaissante de la validation de son travail par ses pairs, elle ajoute : « Cela m’a permis d’avoir d’autres contacts – en plus des collègues designers, des clients. »
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Les défis du futur
Un succès, donc, pour un secteur dont les défis autant que les opportunités ne manquent pas. En témoigne la partie dédiée au design social. Notamment sa charrette-ambulance, une version technologique et pratique, conçue par l’ingénieur Malick Tine. Saluée par le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye lors de sa visite à la Biennale, cette création est d’ores et déjà brevetée par l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI).
Une reconnaissance internationale qui offre à Malick Tine l’occasion de déployer sa vision du secteur : « Il faudrait développer le design au Sénégal pour rendre les objets du quotidien esthétiques – ce qu’ils ne sont pas – et envisager leur production industrielle. Cela afin de commercialiser au niveau régional et sous-régional, comme le font les autres acteurs internationaux. » Cet enjeu de faire entrer le pays sur le marché coïncide de surcroît avec un besoin. Le designer le confirme : « Il y a une opportunité, je l’ai vu, les gens sont prêts à acheter. »
En parallèle, ce quinquagénaire touche-à-tout et avide de partager son expérience et son savoir évoque la question, pour lui centrale, de la formation. Une problématique tout aussi essentielle aux yeux du commissaire Mbaye : « Je me bats en faveur de l’établissement d’une école académique, accréditée par l’État. À l’échelle du continent, le Maroc vient de commencer, le Bénin aussi avec l’Africa design school. Le Sénégal doit se doter de sa propre école. »
Confiant, Ousmane Mbaye appuie : « On accueille plein d’étudiants de la sous-région pour la médecine et le droit. Pourquoi pas pour le design ? » Pourquoi pas, en effet. Alors que la Biennale se referme, elle laisse dans son sillage l’engouement des artistes et du public pour une filière du design dynamique et prometteuse – à condition qu’on lui en donne les moyens.