Connaissez-vous la Corporate Sustainability Reporting Directive ou CSRD ? Derrière ces quatre lettres se cache une directive européenne sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises… qui est devenue, depuis quelques mois, la bête noire des patrons français. À tel point que le Premier ministre Michel Barnier, cherchant à épargner des dirigeants éprouvés par la conjoncture économique et la recherche farouche de rentrées fiscales, a évoqué récemment l’idée d’un moratoire sur son application…
De quoi s’agit-il ? Cette directive oblige les entreprises à mesurer leur empreinte environnementale et sociale, de manière que la transparence soit faite, sur ces sujets essentiels, notamment à destination des investisseurs. Ce texte impose aux sociétés de mettre en place un « reporting » de leurs pratiques d’achats, de production et d’investissement. Cette fameuse CSRD a été transposée en droit national en octobre 2023 par la France et s’applique, dès cette année, aux entreprises cotées qui ont un bilan supérieur à 25 millions d’euros, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros et un effectif supérieur à 250 salariés. Celles-ci devront publier un premier rapport de durabilité dès 2025, qui s’ajoutera au classique rapport annuel sur les comptes. Pour les autres entreprises, de taille plus modeste, un délai de grâce a été accordé, mais l’angoisse est déjà palpable.
« C’est une usine à gaz que l’on nous demande de mettre en place »
Olivier Schiller, PDG de Septodont, une ETI familiale, leader mondial des anesthésiques injectables pour les soins dentaires, qui emploie 2 200 salariés et enregistre un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, fulmine : « Cette initiative part évidemment d’une bonne intention. Il est utile d’organiser un reporting fin et standardisé sur les pratiques sociales, environnementales et de gouvernance. Mais là où ça devient délirant, c’est qu’on compte plus de 1 000 indicateurs divers et variés ! Il faut, pour beaucoup d’entre eux, mesurer, chiffrer la réalité à un instant T, puis établir une trajectoire d’amélioration. C’est une usine à gaz que l’on nous demande de mettre en place ! Les grands groupes ont les moyens d’embaucher des armées de consultants pour les aider dans ce travail, mais les ETI n’ont pas les mêmes ressources que les entreprises du CAC 40… Et puis débloquer des sommes pour cela plutôt que d’investir dans la transition environnementale, ça se discute… »
À LIRE AUSSI Budget 2025 : les petits patrons entre dépit et colèreSi la directive CRSD comprend en effet plus d’un millier de critères (changement climatique, biodiversité, sujets sociaux, gouvernance, etc.), il n’est pas question, pour les entreprises, de répondre à l’intégralité de cette liste mais de faire un tri dans les critères qui s’appliquent en fonction du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise, etc.
« Ce travail de sélection des critères est déjà incroyablement complexe. Les entrepreneurs redoutent de passer à côté des vrais risques, ont peur de se tromper d’enjeux… » assure-t-on chez Pact’Alim, l’association qui défend les PME et les ETI françaises de l’alimentation, tout en reconnaissant que la CSRD constitue une excellente opportunité de préparer le futur. Une fois les critères choisis, il s’agit de faire une analyse de « double matérialité ». Mais encore ? Exemple, avec la mesure du CO2 : pour chaque critère, cela revient à dire en quoi l’entreprise impacte le monde extérieur et, inversement, en quoi le monde extérieur a un impact sur l’entreprise. Le METI a calculé que pour l’ensemble des ETI, le coût de mise en place de la CSRD s’élèverait à 4 milliards d’euros sur deux ans.
La France a déjà transposé la directive contrairement à d’autres pays européens
Jean-François Feillet est directeur qualité de la société Chancerelle, une entreprise familiale de 2 000 salariés spécialisée dans la fabrication de poissons en conserve basée à Douarnenez, dans le Finistère (180 millions d’euros de chiffre d’affaires). Son entreprise sera soumise à la directive CSRD à partir de 2026 sur son périmètre d’activité de l’année 2025. « La CSRD constituera un avantage compétitif pour les entreprises, à terme, j’en suis persuadé. Mais nous évoluons aujourd’hui dans un marché ouvert, face à des entreprises rivales qui sont hors de l’Union européenne, et qui ne sont pas concernées par cette directive. On va se retrouver obligés de mobiliser des moyens humains, financiers assez lourds pour appliquer cette directive, alors que l’on n’est déjà pas compétitif en matière de coûts…, explique le dirigeant, qui a commencé à travailler sur les critères depuis un mois. En plus, la France, qui est toujours exemplaire en matière de réglementation, et jusqu’à l’excès, a déjà transposé la directive contrairement à d’autres pays européens. Donc, comme d’habitude, on ne se bat pas à armes égales en Europe comme à l’extérieur alors que la croissance est en berne et que les concurrents asiatiques n’ont jamais été aussi agressifs. »
À LIRE AUSSI Gouvernance durable : les entreprises mises aux normesLes partisans des bienfaits de la directive invitent les entrepreneurs à voir plus loin que l’horizon de la surcharge administrative… « C’est une opportunité formidable qui est offerte aux entreprises de réfléchir à l’avenir de leur métier, d’évoluer, de s’adapter, de procéder aux investissements d’avenir, assure un consultant. D’autant que tous ces critères imposés ne sortent pas de nulle part… Ils ne sont que le reflet des préoccupations des investisseurs, mais aussi des clients, donc, à terme, c’est gagnant pour les entreprises. »
Et maintenant, gare à la nouvelle directive, CS3D
À Découvrir
Le Kangourou du jour
Répondre
Une autre directive devrait faire prochainement couler beaucoup d’encre : la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, dite « CS3D » (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), qui a été adoptée par le Parlement européen le 24 avril 2024, et publiée dans le Journal officiel de l’Union européenne, le 5 juillet 2024. Elle a été inspirée par le dramatique incendie au Bangladesh dans une usine textile en 2012, qui avait pour client des marques internationales.
« La CS3D vise à s’assurer que nos salariés, mais aussi les salariés de nos fournisseurs, travaillent dans de bonnes conditions, conformes aux standards internationaux. Cela nous oblige à vérifier que chacun de nos fournisseurs respecte les règles sociales, c’est déjà un gigantesque travail de contrôle… mais quid du fournisseur du fournisseur ? demande Olivier Schiller, est-ce aussi de notre responsabilité ? »