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Du charbon aux renouvelables, l’Afrique du Sud au défi d’une « transition énergétique juste »

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Il n’est pas apparent au premier coup d’œil, mais un chantier titanesque est à l’œuvre en Afrique du Sud. Depuis 2021, le pays a été érigé en modèle de coopération Nord-Sud en matière de « transition énergétique juste ». Cette année-là, à la 26e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Union européenne mettent 8,5 milliards de dollars (8 milliards d’euros) sur la table pour accompagner les efforts visant à décarboner l’économie sud-africaine, l’une des plus dépendantes au charbon. Trois ans plus tard, si les réalisations concrètes se font attendre, le pays a engagé de profondes réformes pour se réinventer.

La tâche était loin d’être aisée. Car lorsqu’elle se lance dans le Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), en 2021, l’Afrique du Sud est à la veille d’une crise énergétique majeure. Quatorzième émetteur de gaz à effet de serre, le pays dépend à plus de 80 % du charbon pour sa production d’électricité, laquelle est aux mains d’un mastodonte du secteur public, Eskom, dont les centrales à charbon, vieillissantes, multiplient les pannes.

Le secteur doit se réformer mais le pays n’en a pas les moyens. La discussion qui s’engage alors sur la nécessité pour les pays riches de compenser leur dette écologique à l’égard des pays en développement offre une porte de sortie. « Le président Cyril Ramaphosa a compris que cette transition énergétique était l’opportunité de réconcilier l’agenda international et l’agenda intérieur tout en réduisant la pauvreté, les inégalités et le chômage », analyse Audrey Rojkoff, la directrice Afrique australe de l’Agence française de développement (AFD).

Pour convaincre, l’Afrique du Sud arrive à la COP26 avec des objectifs de réduction des gaz à effets de serre d’ici à 2030 réévalués de 31 %. « A ce moment-là, on se dit : quelque chose se passe, c’est courageux, il faut l’accompagner », se souvient Audrey Rojkoff. Le pays détaille une stratégie qui consiste notamment à développer les énergies renouvelables, la production de véhicules électriques et l’hydrogène vert. Mais dans le même temps, la crise énergétique éclate.

En 2023, Eskom touche le fond. Les coupures d’électricité destinées à éviter la saturation du réseau faute de pouvoir répondre à la demande deviennent pratiquement quotidiennes, jusqu’à douze heures par jour. Après des années d’errance, la situation de la compagnie s’est subitement stabilisée en mars 2024. L’électricité est revenue, mais elle a un prix : pour éviter de replonger, Eskom a annoncé reporter à 2030 la fermeture de trois centrales à charbon initialement prévue avant 2027.

Blocages

Symboliquement, la décision est terrible. Elle irrite certains partenaires au sein du JETP, qui s’agaçaient déjà de la lenteur des avancées. Mais Dipak Patel, l’un des membres de la commission présidentielle sur le climat chargée de superviser la transition, l’assure : « Cela ne signifie pas que nous ne respecterons pas nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre. » La compagnie publique d’électricité s’est engagée à compenser les émissions des centrales dont la fermeture a été repoussée.

Le développement des énergies renouvelables connaît lui aussi des débuts difficiles. De nombreux projets d’éoliennes ou de fermes solaires sont en attente, alors que le pays a tardé à adopter les réformes qui doivent permettre l’arrivée des investissements privés. Au sein du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, la fin de la suprématie de l’Etat dans le domaine suscite des blocages, tout comme la remise en cause de l’industrie du charbon, qui menace plus de 200 000 emplois directs et indirects.

Paradoxalement, les coupures d’électricité ont dopé l’installation de panneaux photovoltaïques chez les entreprises et les particuliers qui en ont les moyens. D’après un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les énergies renouvelables ont bondi de 33 % en 2023 en Afrique du Sud. Mais la formule, qui accentue la disparité énergétique dans le pays le plus inégalitaire au monde, ne satisfait pas.

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Mi-octobre toutefois, le pays a enfin vu se concrétiser une avancée majeure avec le lancement d’une compagnie publique de transmission, architecte du futur réseau électrique, désormais indépendante d’Eskom. « Les progrès en matière de réformes institutionnelles nous ont permis de préparer le terrain pour une transition énergétique globale dans les trois à cinq prochaines années », résume Dipak Patel, qui assure que de nombreux projets devraient enfin se matérialiser.

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La formation d’un « gouvernement d’union nationale », en juin, a donné un coup d’accélérateur. Après avoir perdu pour la première fois depuis la fin de l’apartheid sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, l’ANC gouverne aux côtés de formations plus libérales. La nouvelle donne a fragilisé la frange la plus à gauche du parti. Proche des syndicats, le ministre pro-charbon chargé jusque-là des mines et de l’énergie, Gwede Mantashe, s’est vu déposséder de son portefeuille énergétique au profit du ministre de l’électricité, qui promet une « approche agressive » en matière d’énergies renouvelables.

Fiasco

« Aucune transition n’est linéaire. C’est compliqué, c’est long, il faut parfois s’adapter aux réalités économiques, mais la trajectoire est la bonne. Le JETP a lancé quelque chose », se réjouit Audrey Rojkoff. Satisfaite de ce partenariat qui a permis d’engager un dialogue « d’égal à égal » avec les autorités sud-africaines, l’AFD, qui a déjà mis à disposition un prêt de 300 millions d’euros à un taux d’intérêt avantageux, vient d’en annoncer un autre de 400 millions d’euros.

En obligeant l’Afrique du Sud à détailler sa stratégie de transition énergétique pour obtenir des financements, le JETP a permis au pays de développer sa réflexion sur le volet « justice sociale » du projet, faisant de lui un laboratoire en la matière. A côté des objectifs chiffrés de réduction des gaz à effet de serre, la nécessité d’accompagner l’économie face au changement climatique et de rendre le pays plus résilient aux catastrophes naturelles s’est imposée.

La fermeture de la plus grande centrale à charbon sud-africaine, en 2022, est devenue un cas d’école à ne pas reproduire. Annoncée en fanfare, la conversion de la centrale en site de production d’énergie renouvelable s’est révélée un fiasco. Si les employés d’Eskom ont été recasés, le projet a laissé sur le carreau de nombreux habitants de la ville voisine de Komati, dont l’économie dépendait presque entièrement de la centrale.

Consciente de la nécessité de corriger cette erreur afin d’emporter l’adhésion de la population au projet, l’AFD a orienté l’intégralité de son nouveau prêt sur la dimension « juste » de la transition énergétique. « Si on se contente de dire aux gens : “Vous allez perdre votre emploi parce que les Européens et les Américains ont décidé que le charbon, ce n’est pas bien”, ça ne peut rien donner. Il faut développer des perspectives », détaille Audrey Rojkoff.

L’institution est le premier bailleur de fonds international à mettre l’accent sur cette dimension. « L’idée est en train de s’installer qu’il est nécessaire de prendre en compte les besoins socio-économiques de chaque pays », salue Dipak Patel. Reste que la contribution internationale à la transition sud-africaine est très insuffisante au regard des besoins. De nouveaux pays, comme les Pays-Bas ou le Danemark, se sont associés au JETP depuis 2021, portant les financements à 11,5 milliards de dollars (environ 10,8 milliards d’euros). Un montant historique mais qui reste une paille : l’Afrique du Sud estime avoir besoin de 100 milliards de dollars pour financer une transition juste.

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