« Je vous remercie pour votre intérêt. Malheureusement, notre agence locale fonctionne déjà à pleine capacité et ne peut prendre en charge de nouveaux logements. » Le message est signé d’une conciergerie d’appartement parisienne. À trois mois du début des Jeux olympiques, ces start-up croulent sous la demande. HostnFly, WeHost, GuestReady ou encore Welkeys espèrent attirer un maximum des 11,3 millions de touristes, principalement français, attendus pendant la compétition. Parmi eux, près de 500 000 sont attendus dans ce type de logements, selon une étude du cabinet Deloitte parue en avril 2023.
En proposant aux propriétaires de s’occuper entièrement de la location de leur bien (création de l’annonce, diffusion sur les plateformes, remise des clés…) pendant leur absence, moyennant une commission de 20 à 25 % sur les revenus générés, ces start-up misent sur les 800 000 logements considérés comme des locations saisonnières en France. « On se rémunère sur cette commission. Si le logement n’est pas loué, on ne gagne pas d’argent, ce qui aligne nos intérêts avec ceux du propriétaire », explique Quentin Brackers de Hugo, PDG de HostnFly. Créée en 2016, cette start-up emploie 50 personnes et gère plus de 5 000 logements à travers la France, y compris dans les stations balnéaires et les stations de ski.
Bulle spéculative prête à éclater
Ces derniers mois, de nombreux Parisiens désireux de profiter des retombées économiques des JO (selon Deloitte, les hôtes Airbnb devraient gagner en moyenne près de 2 000 euros bruts pendant les Jeux) se sont tournés vers les conciergeries : « En temps normal, on a 200 demandes de propriétaires par mois, mais depuis six mois c’est plutôt 1 200, on n’a pas de mal à trouver des logements, donc on peut choisir », constate le président d’HostnFly.
Romain Bellet est le PDG de WeHost. Créée en 2014, sa start-up gère environ 2 000 locations en France, dont la moitié à Paris. Après une croissance « de 35 % » l’année dernière, lui aussi espère profiter de « l’effet JO » : « C’est une aubaine pour nous, on devrait doubler le parc habituel cet été », assure le dirigeant.
Pour autant, il se méfie de l’explosion des prix annoncée il y a un an : « Il y a eu un énorme engouement, mais la bulle spéculative est en train d’éclater. Aujourd’hui, la moyenne des locations est 1,8 fois supérieure au prix de la nuitée de l’année dernière. » Bien loin des prix multipliés par 5 ou par 10 espérés ces derniers mois. « Il y a une sorte de retour à la raison, chez les propriétaires, sur les niveaux de prix, et de notre part sur le taux d’occupation qui plafonne à 30 % », confirme Quentin Brackers de Hugo, de HostnFly.
Un marché de plus en plus régulé
D’autant plus que les conciergeries d’appartement doivent faire face à une forte concurrence. Depuis 2015, les grands groupes hôteliers accusent la plateforme de vider leurs chambres. En réponse, le gouvernement a imposé à Airbnb (la célèbre plateforme utilisée par la plupart des conciergeries) de multiples réglementations, notamment pour empêcher que les propriétaires ne dépassent la limite légale de 120 jours de location saisonnière par an. Fin janvier, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi transpartisane qui, en plus d’abaisser de 50 à 30 % le taux d’abattement sur les revenus des meublés de tourisme, permettrait aux maires de réduire la durée limite de location à 90 jours par an.
En attendant que le texte passe l’étape du Sénat, les perspectives de croissance dans le secteur restent incertaines. « On crée beaucoup d’emplois en France et on déplore parfois de ne pas être dans les échanges avec les élus », constate Romain Bellet de WeHost. « Encore une fois, le gouvernement préfère sanctionner plutôt que d’écouter les acteurs de l’économie réelle […] au risque de voir leur activité menacée et leurs emplois supprimés », avait également déclaré dans une tribune en 2018 Chloé Fournier, fondatrice de la conciergerie Welkeys. De fait, dans un rapport publié en 2019, le cabinet d’analyse économique Xerfi estimait que l’âge d’or du marché était passé : « Après une hausse de 12 % par an depuis 2013, le moteur cale. On entre dans une phase de ralentissement. »
Deux acteurs en liquidation judiciaire
Depuis, la crise Covid est passée par là, suivie de la hausse des taux d’intérêt qui a notamment frappé les start-up, habituées à lever des fonds rapidement. « Lors du Covid-19, les conciergeries n’ont pas eu de revenu pendant plus d’un an, explique Quentin Brackers de Hugo. On a dû s’endetter et prendre des PGE [prêt garanti par l’État, NDLR] pour survivre. Puis, il y a eu la crise du financement. Avec l’augmentation des taux d’intérêt, il est devenu moins facile de refinancer les sociétés. » Une double lame qui a notamment eu raison de Leavy.co et Smartrenting, deux conciergeries placées en redressement judiciaire puis liquidées, respectivement en octobre 2023 et en mars 2024. « Le PGE a été une épée de Damoclès qui a précipité la fin de l’aventure », confirme Thibaut Martin, ancien cofondateur de Smartrenting.
Si sa start-up a fermé, lui continue d’observer de près ce secteur où la rentabilité n’est pas acquise : « On a l’impression de gagner beaucoup sur la nuitée, mais derrière il faut s’occuper du ménage, gérer l’accueil des arrivants, leur répondre jour et nuit… c’est très difficile de dégager une marge après ces opérations. »
Pour surmonter cette période, plusieurs start-up comme HostnFly ont décidé de changer de modèle. Désormais, elles s’appuient sur un réseau de mandataires indépendants dans chaque ville, qui gèrent toute la partie opérationnelle, une fois qu’un bien a été signé. « Les mandataires sont motivés à la qualité de service, car plus les clients sont satisfaits, plus ils gagnent d’argent », résume Quentin Brackers de Hugo. Ainsi, la start-up s’évite de nombreux coûts fixes et peut se concentrer sur la prospection, le développement technologique ou le marketing. Après 6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022, l’entreprise a réalisé 10 millions de CA en 2023 et espère une nouvelle hausse de 40 % pour 2024, dont 10 % grâce aux JO.