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Qui est Doctolib, l’entreprise à qui Attal veut forcer la main sur la « taxe lapin » ?

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Sur la plupart des photos de lui consultables en ligne, Stanislas Niox-Chateau arbore le même sourire, volontaire mais vaguement crispé, et les mêmes cernes de petit dormeur sous ses yeux noirs. Voilà qui pourrait bien résumer le profil de ce dirigeant de 37 ans : l’ambition couronnée de succès et le travail acharné. Un profil qui ressemble, au passage, à celui d’un certain Gabriel Attal. Niox-Chateau n’est pas, à proprement parler, une célébrité. Pourtant, son visage vous dira peut-être quelque chose… D’abord parce que ce patron est assez médiatique, ensuite parce qu’il dirige une entreprise qui, comme aucune autre, a su s’immiscer au cœur même de la vie des Français. Elle a accompagné certains d’entre eux dans des moments intimes ou douloureux. Et elle est désormais considérée par l’État comme un trésor à protéger au même titre que les fleurons nationaux de la défense, comme Dassault ou Thales.

De qui parle-t-on ? De Doctolib, pardi ! C’est l’ingénieur Franck Tetzlaff qui a eu l’idée de départ en 2013 (il a quitté la société un an plus tard), vite rejoint par les autres cofondateurs : Stanislas Niox-Chateau (actuel PDG de Doctolib, donc), Jessy Bernal (directeur technique), Ivan Schneider (responsable des solutions techniques) et Steve Abou-Rjeily (directeur des ventes). Cette bande d’amis a lancé le site en novembre de cette année-là, avec une mise de 20 000 euros et seulement 50 soignants partenaires. C’était le début de la décennie « French Tech ». Emmanuel Macron n’était encore que secrétaire général adjoint de François Hollande à l’Élysée chargé des questions économiques. Et le Tout-Paris des affaires, obnubilé par le secteur des nouvelles technologies, se demandait : qui, des nombreuses start-up de cette génération-là (les Blablacar, Withings ou Teads…), sera la plus puissante ?

La première des licornes françaises

Une décennie plus tard, les analystes de CB Insight sont formels : c’est Doctolib. Avec une valorisation de 6,4 milliards de dollars en décembre dernier, la jeune pousse de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) est la première de nos licornes, ces sociétés dont la valeur dépasse le milliard de dollars avant d’être rachetées ou cotées en Bourse. L’avance de cette supersecrétaire numérique pour médecins généralistes, spécialistes, kinés, ostéopathes, hôpitaux publics, cliniques privées, bref tout ce que notre pays compte de pros de la santé, sur les autres espoirs hexagonaux est d’ailleurs bluffante. Ses deux poursuivants immédiats – le champion du reconditionnement et de la revente de gadgets électroniques, Back Market, et le spécialiste de l’analyse des parcours des clients des sites marchands, Contentsquare – sont en effet distancés, avec des valorisations respectives à 5,7 et 5,6 milliards de dollars.

Stanislas Niox-Chateau se sentirait-il pousser des ailes ? Depuis hier, voici ce HEC policé qui, une fois n’est pas coutume, tient tête au gouvernement. Il refuse que la « taxe lapin » de 5 euros, imaginée par le Premier ministre Gabriel Attal pour mettre à l’amende les malpolis abonnés aux annulations de rendez-vous de dernière minute, soit automatiquement collectée par sa plateforme. Selon Niox-Chateau, pour qui c’est à l’Assurance maladie de gérer cette ponction, il est « inimaginable d’envisager que les secrétariats enregistrent des cartes bancaires », notamment dans le cas où les rendez-vous ne seraient pas pris en ligne. Comment l’État va-t-il réagir, lui qui a, depuis si longtemps, son rond de serviette chez Doctolib ? Dès janvier 2017, soit moins de cinq ans après la fondation de la start-up, la banque publique d’investissement, Bpifrance, a fait son entrée à son capital.

Aujourd’hui présente en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas, en plus de la France, Doctolib revendique 80 millions de patients inscrits sur sa plateforme, interagissant avec quelque 390 000 professionnels de la santé. La lilliputienne PME des débuts a laissé la place à une entreprise de taille intermédiaire de 2 800 collaborateurs. C’est qu’entre-temps la pandémie de Covid-19 est passée par là… Certes, pour l’économie en général, elle fut un fléau, mais, pour le champion des consultations médicales en ligne, elle fut un accélérateur. Et pour cause : elle venait, en 2019, donc seulement quelques mois avant la mise sous cloche mondiale, de lancer son service de téléconsultation ! Et, là encore, l’État y a été de son coup de pouce puisqu’il a recommandé aux Français de passer par elle.

Doctolib n’a toujours pas dégagé un seul centime de profit

Avec son système de visioconférence et son outil pour transférer de manière sécurisée les ordonnances en ligne, Doctolib devient rapidement monopolistique en France. En 2021, 90 % des rendez-vous de vaccination contre le Covid ont été pris depuis son site ou son application pour un total de 39 millions de consultations. Pour les pouvoirs publics, c’est un interlocuteur d’autant plus sensible que ses serveurs hébergent une bonne partie des données de santé du pays, dont celles de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Stanislas Niox-Chateau, que l’hebdomadaire Challenges fait désormais figurer, avec ses cofondateurs, à la 104e place des fortunes françaises (avec 1,2 milliard d’euros au total), devient un habitué des ors des ministères et de l’Élysée.

Seule tache sur ce joli parcours, et non des moindres : en plus de dix ans d’existence, Doctolib n’a toujours pas dégagé un seul centime de profit ! La rentabilité, le PDG dit l’attendre pour 2025. « C’était prévu plus tôt, mais les développements réalisés pour le Covid nous ont coûté sans nous rapporter, ce qui a décalé notre rentabilité de deux ans », a-t-il récemment confié à Ouest-France dimanche. Ses dernières solutions – une messagerie sécurisée pour aider patients et soignants à communiquer, des outils d’aide à la prise en charge des patients (dossier médical en ligne, etc.) et de comptabilité pour les praticiens (facturation, télétransmission, etc.) – devraient l’aider, estime-t-il, à entrer enfin dans le vert.

Niox-Chateau doit s’attendre à ce que la pression s’amplifie

Pas sûr, entre-temps, que Niox-Chateau aura gagné son bras de fer contre Matignon sur la « taxe lapin ». Après les multiples convocations, ces derniers mois, des patrons de supermarché à Bercy pour servir la communication officielle en matière de lutte contre l’inflation (avant que le gouvernement n’adopte, quelques semaines plus tard, un dispositif visant à interdire certaines promotions, allez comprendre…), et après l’apparition, aussi surprise que médiatisée, du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, lors du dernier comité exécutif d’EDF fin mars, qui avait une drôle de coloration soviétique, il semblerait que l’exécutif soit désormais prêt à tout pour contraindre les dirigeants d’entreprise à le suivre sans discuter de ses lubies, aussi éphémères soient-elles.

En l’espèce, on voit mal comment la « taxe lapin » pourrait correctement s’appliquer si Doctolib, qui contrôle le marché français des prises de rendez-vous médicaux en ligne, devait s’obstiner dans son refus de jouer le jeu des autorités… Stanislas Niox-Chateau doit donc s’attendre à ce que la pression pour qu’il s’exécute s’amplifie. En attendant, qu’il nous permette cette suggestion : parler à Gabriel Attal de l’expérience menée en 1998 par deux économistes israéliens, Uri Gneezy et Aldo Rustichini, que le professeur d’économie Alexandre Delaigue explique très bien sur son blog. Pour que les parents des élèves de la ville d’Haïfa cessent d’arriver en retard, la municipalité avait instauré une amende de 10 shekels. Résultat ? Les retards se sont aggravés et la mesure a été… remballée.


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