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A Abidjan, les emblématiques vendeurs de café priés de quitter la chaussée

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La ville d’Abidjan s’apprête à perdre l’un de ses symboles. Les autorités du district, qui ont lancé ces derniers mois une offensive contre la mendicité et le commerce ambulant, ont pris pour cible les vendeurs de café instantané qui parcourent ses artères. La nouvelle brigade de « lutte contre le désordre urbain » mise en service le 22 juillet sous l’autorité du ministre-gouverneur Ibrahim Cissé Bacongo a entrepris de détruire méthodiquement les stands informels de vente de nourriture, de téléphonie et de vêtements, accusés d’encombrer les trottoirs. Sans faire d’exception pour les petits chariots à café, pourtant institutions dans la capitale économique ivoirienne.

Pour en trouver désormais, il faut quitter les larges avenues et pénétrer dans les ruelles étroites, voire à l’intérieur même des cités. Alors seulement on peut héler ces hommes qui poussent un chariot au charme désuet, peint traditionnellement en rouge, parfois en vert ou en bleu, des guirlandes de sachets de café instantané suspendues à leur cadre de bois. « On se cache ici à cause de Bacongo, soupire l’un d’eux sur un chemin de terre des Deux-Plateaux, dans la commune de Cocody. Beaucoup de mes frères ont été pris par la brigade. S’ils t’attrapent sur une avenue, ils prennent ton chariot. »

D’une main experte, il verse dans une tasse le contenu d’un sachet Nescafé – ou d’une alternative moins chère, comme Top Lait ou Olinda –, y ajoute une cuillerée de sucre et la remplit d’eau chaude. Il transvase ensuite le contenu d’une tasse à l’autre pour mélanger le liquide et le faire mousser, sans jamais en renverser une goutte. La tasse de café noir coûte 100 francs CFA (0,15 euro), celle de café au lait le double.

Ces derniers jours, les images amateur et les reportages qui circulent sur les réseaux sociaux montrent ces chariots cassés au marteau ou jetés d’un bloc dans un pick-up de la brigade de lutte contre le désordre urbain.

Celle-ci a pour missions « la libération des grandes artères, des espaces publics qui sont squattés » et des « espaces non constructibles occupés », avait annoncé Ibrahim Cissé Bacongo lors de son lancement, mais aussi « l’application de l’arrêté [pris en avril] portant interdiction du commerce ambulant, de la mendicité et de l’utilisation des charrettes à bras ». « Les ambitions [du ministre-gouverneur] sont grandes pour notre capitale économique, vitrine d’entrée dans notre beau pays, avait appuyé le premier ministre, Robert Beugré Mambé. Le résultat auquel il aspire nous rendra tous fiers d’appartenir à ce district. »

« C’est toute une culture qu’on fout à la poubelle »

Les chariots Nescafé étaient pourtant prisés des touristes, au point que les peintres du centre artisanal de Treichville avaient pris l’habitude de les représenter sur leurs tableaux. Ils correspondaient surtout au mode de consommation des Ivoiriens, qui, pour la plupart, ne boivent leur café qu’à l’extérieur de chez eux. « C’est toute une culture qu’on fout à la poubelle », commente avec amertume le slameur Placide Konan, qui s’indigne régulièrement, sur ses réseaux sociaux, de la lutte contre le « désordre urbain » menée par le district d’Abidjan.

« Quand j’étais enfant puis étudiant, on buvait le café chez les “aboki”, qui ont une manière très particulière de le préparer, avec un goût inégalé », se souvient-il. Des années 1980 au début des années 2000, ces vendeurs d’origine nigérienne (« aboki » signifie « ami » en haoussa) tenaient de petits kiosques où ils servaient du café au lait, assorti parfois de pain et d’omelette pour le petit-déjeuner. Avec le temps et la croissance urbaine d’Abidjan, ces kiosques se sont raréfiés et la vente de café s’est nomadisée. La génération suivante d’aboki arpentait les rues, tasses et thermos de café tenues en main ou dans les poches d’une chasuble, à la recherche de clients.

Le secteur a encore changé de visage au début des années 2010 avec le programme de vente ambulante « My Own Business » (Myowbu) mis en place par Nestlé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale pour promouvoir « la création de microentreprises » – et son café instantané. Les participants au programme « acquièrent les aptitudes et l’expertise dont ils ont besoin pour mener à bien leurs petites entreprises grâce à des formations, détaille le site de la multinationale suisse. Ils engagent ensuite entre huit et dix vendeurs ambulants chargés de vendre du café Nescafé dans des lieux publics très fréquentés. »

Ces vendeurs sont dotés d’un stock de café en poudre, de tasses et des fameux chariots rouges, tous estampillés du logo Nescafé. En 2022, le programme Myowbu mobilisait près de 5 000 « jeunes entrepreneurs », avec l’ambition d’atteindre le double d’ici à 2025. Le succès a été tel en Côte d’Ivoire que des centaines de vendeurs extérieurs au programme leur ont emboîté le pas, créant des chariots de bric et de broc et peignant à la main le logo « Nescafé » sur la devanture. Plutôt que de la supprimer tout à fait, le slameur Placide Konan appelle à réglementer la vente ambulante de café : « Je ne comprends pas pourquoi on veut, au nom du développement, se débarrasser de ce qui fait la beauté particulière de notre ville. On ne peut pas vivre à Abidjan comme à Paris ! »

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