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Au Maroc, une centaine de personnes hospitalisées après une intoxication au méthanol

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Les ambulances défilent sous les regards éplorés des familles. Au Maroc, la ville de Kénitra (nord) est le théâtre d’un drame sanitaire de grande ampleur. Plus de 100 personnes ont été transportées dans l’hôpital provincial de la cité côtière, ainsi qu’à Rabat et Souk El Arbaa, après une intoxication collective au méthanol survenue samedi 1er juin dans la commune proche de Sidi Allal Tazi, une localité rurale de 3 000 habitants. Mercredi, le ministère de la santé faisait état de huit décès, mais à l’appui de « sources hospitalières », des journaux rapportaient jeudi le chiffre de quinze morts.

Les circonstances exactes de cet empoisonnement sont encore floues. Citées par l’agence marocaine de presse (MAP), les autorités locales ont évoqué l’effet d’« une substance alcoolique impropre à la consommation ». Selon le site d’informations Enass, des jeunes de Sidi Allal Tazi et des environs auraient consommé un liquide frelaté après la victoire du Real Madrid en finale de Ligue des champions. La présence de méthanol serait responsable de l’intoxication. Sept individus suspectés d’avoir fourni le mélange toxique sont actuellement détenus.

Bien que le bilan des décès soit encore provisoire, le nombre de victimes intoxiquées fait de cet empoisonnement au méthanol l’un des plus importants qu’a connus le royaume chérifien depuis quarante ans, selon le Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc (CAPM). Un précédent épisode, en 2022, avait fait 19 morts dans la province de Ksar El Kebir. Un an auparavant, une vingtaine de personnes avaient succombé à Oujda.

Vomissements, coma et cécité

Produit frauduleusement à partir de résidus de feuilles, de bois, de sciure ou de paille, le méthanol est fréquemment utilisé au Maroc comme substitut de l’alcool éthylique. Mais à trop forte dose (au-delà de 1 ml/kg), sa consommation peut être mortelle. En 2018, le CAPM notait que « l’intoxication par le méthanol suite à la consommation d’alcool frelaté est un vrai problème de santé publique dans les pays en voie de développement ».

Le nombre élevé de victimes à Sidi Allal Tazi s’expliquerait, assurent plusieurs sources médicales, par le délai entre l’ingestion et l’apparition des premiers symptômes. La phase de latence varie en moyenne de neuf à vingt-quatre heures, suivie de troubles de la conscience, de vomissements, voire de comas pour les cas les plus graves, avec des risques élevés de cécité.

Le profil des personnes intoxiquées correspond au portrait-robot des consommateurs habituels de méthanol, tel que l’ont dressé les différentes études consacrées à ce phénomène au Maroc. En 2020, la Revue de santé de la Méditerranée orientale s’était penchée sur une intoxication collective survenue en 2017 dans la municipalité d’El Hajeb, près de Meknès. Treize personnes étaient décédées. Sur les 26 cas d’intoxication étudiés, toutes les victimes étaient « de faible niveau socio-économique », avec des revenus mensuels inférieurs à 1 500 dirhams (moins de 140 euros), et près d’un quart d’entre elles étaient sans domicile fixe, soulignait la publication de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« La très grande majorité des consommateurs de méthanol ne sont pas conscients de la dangerosité de ce produit », observe l’addictologue marocaine Imane Kendili, présidente du réseau African Global Health, une ONG qui rassemble des experts africains autour des politiques de santé publique. Pour quelques dirhams, des hommes et parfois des femmes, souvent toxicomanes, s’enivrent de mélanges qui ne font l’objet d’aucun contrôle, indique la médecin, qui s’interroge sur la disponibilité suffisante en Curethyl, l’antidote de l’alcool méthylique, dans les hôpitaux : « S’il n’est pas administré dès les premières heures après l’ingestion de méthanol, le risque de mortalité explose. »

Bataille parlementaire

Plus largement, les addictologues dénoncent l’absence de prévention dans un pays où la consommation d’alcool, si elle est tolérée pour les citoyens musulmans, ne fait l’objet d’aucune campagne de sensibilisation. L’intoxication sur le long terme liée à l’abus de « mahia », cet alcool artisanal frelaté appelé à tort « eau-de-vie » et qui entraîne des cirrhoses, la perte des dents et une altération générale de l’état de santé, est régulièrement pointée du doigt par les professionnels de santé.

Le drame de Sidi Allal Tazi résonne tout particulièrement à la lecture des décisions récentes de la majorité gouvernementale. Alors qu’elles n’avaient cessé d’augmenter lorsque les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) étaient au pouvoir, les taxes sur les boissons alcoolisées ont donné lieu, fin 2023, à une âpre bataille parlementaire.

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Leur hausse, réclamée par une partie de l’opposition et inscrite dans le projet de loi de finances, a finalement été fortement réduite à la suite d’une réunion entre le gouvernement et les professionnels du secteur, selon le journal Assabah, l’un des plus forts tirages de la presse au Maroc. Le très officiel quotidien Le Matin a quant à lui relevé les propos du ministre du budget, Fouzi Lekjaa, qui avait argué que toute majoration pourrait stimuler la consommation d’alcool frelaté, « ce qui constituera[it] une menace pour la santé des citoyens ».

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