Au Rwanda, bourreaux et victimes assignés à résilience

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Victimes et anciens bourreaux, assis côte à côte, parfois main dans la main. Trente ans après le déclenchement du génocide des Tutsi au Rwanda, qui a fait plus de huit cent mille morts entre avril et juillet 1994 et lors duquel entre cent mille et deux cent cinquante mille femmes ont été violées, selon l’Organisation des Nations unies, Jan Banning pointe son objectif sur ces hommes et ces femmes qui ont subi ou perpétré l’horreur, mais qui ont néanmoins réappris à vivre ensemble. Le photographe néerlandais de 70 ans revisite ainsi sous l’angle de la compassion les deux grandes thématiques qui traversent son travail : les traces laissées par les conflits sur les corps et les esprits, et la justice criminelle.

Pendant un mois, en janvier 2024, il a arpenté, avec le journaliste Dick Wittenberg, 71 ans, les districts de Rubavu et de Karongi, au bord du lac Kivu, ainsi que le centre et l’est du pays. Ils y ont rencontré une trentaine de Rwandais ayant participé à des programmes de sociothérapie communautaire. Cette méthode, développée au Rwanda depuis 2005 par plusieurs ONG, traite le stress post-traumatique à l’échelle d’un village ou d’une collectivité. Son objectif : réparer les liens sociaux détruits par le génocide, en aidant les participants à regagner leur dignité et à cohabiter.

Lors de séances de groupes de dix à quinze personnes, les victimes et les anciens tueurs peuvent exprimer leur souffrance, échanger et, s’ils le souhaitent, demander ou accorder leur pardon. L’approche a déjà profité à plus de soixante mille personnes dans le pays, où, malgré la politique d’unité et de réconciliation prônée par le gouvernement, les divisions restent profondes. « Le génocide représente le pire de ce que l’humain peut faire. Et pourtant, il semble que, même dans ce cas-là, les hommes puissent trouver un moyen de se réconcilier. Et ça, c’est quelque chose de véritablement extrême », estime Jan Banning.

« De très difficiles premières sessions de thérapie »

Dans leur maison, au cabaret local ou dans des champs de bananiers, rescapés et anciens bourreaux regardent droit dans l’objectif, l’air solennel. Jan Banning les éclaire au flash : la lumière crue fait ressortir les ombres sur les murs bruns, les chemins de terre et les larges feuilles vertes. « Je voulais des contrastes forts, en écho à l’histoire du Rwanda et à sa part d’obscurité », glisse le photographe. Dick Wittenberg, lui, a recueilli leurs témoignages. Ils retracent toutes les facettes de ce génocide de proximité : les voisins qui tuent les voisins, les mariages brisés entre Hutu et Tutsi, les attaques à la machette ou au gourdin, les incendies des maisons et les vols de bétail. Ensuite, pour les rescapés : les cicatrices indélébiles, la peur de sortir de chez soi, la dépression, le désir de vengeance. Puis les gacaca, ces tribunaux populaires qui ont, entre 2005 et 2012, jugé près de deux millions de personnes pour des faits liés au génocide. Enfin, le retour des anciens bourreaux, à leur sortie de prison, sur la même colline, dans le même village, parfois à quelques pas des maisons de leurs victimes.

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