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Dans l’est de la RDC, les blessures toujours vives du génocide au Rwanda

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Voilà maintenant deux ans que Liberata Rubumba Buratwa n’a plus vu sa fille adoptive. Les conflits qui dévastent l’est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis le génocide au Rwanda voisin, en 1994, ont peu à peu séparé les deux femmes. Chantal (dont le nom complet n’est pas précisé pour des raisons d’anonymat) n’a pourtant jamais quitté Goma, l’une des principales villes de l’est de la RDC. « Mais son mari l’a obligée à couper les ponts avec tous ceux qui connaissent ses origines rwandaises pour qu’elle se fonde dans la masse », se désole celle qui l’a élevée, en chiffonnant nerveusement sa longue robe bleue.

Liberata Rubumba Buratwa a recueilli Chantal en juillet 1994. La fillette agonisait sous un arbre à deux pas de sa maison de Goma quand elle l’a rencontrée la première fois. Son père, un Hutu, et sa mère, une Tutsi, étaient morts. « Elle m’a suppliée de devenir sa mère. J’ai eu pitié. Elle était orpheline et n’avait que 9 ans », raconte la sexagénaire, agricultrice et militante de la société civile.

Chantal a traversé la frontière de l’ex-Zaïre avec 1,5 million de Rwandais, principalement issus de la communauté hutu, dans les dernières semaines du génocide qui, entre avril et juillet 1994, a coûté la vie à plus de 800 000 Tutsi et certains opposants hutu. A Kigali, le Front patriotique rwandais (FPR), commandé par Paul Kagame – l’actuel président du Rwanda –, a mis fin aux tueries début juillet. Par peur des représailles, des hordes de civils à pied, avec leurs vaches, des génocidaires issus de l’armée rwandaise, avec leur arsenal, et des responsables du gouvernement déchu, partis avec les caisses de l’Etat, se sont rués vers Goma.

« Je ne compte plus le nombre de cadavres que j’ai vus dans ma vie », souffle Liberata Rubumba Buratwa devant un entrepôt aux portes bleues du quartier Bujovu. Sous les dalles de cet imposant hangar reposent d’innombrables corps de Rwandais, morts principalement du choléra en 1994. « C’est ici que nous avons creusé des fosses communes. Nous déposions jusqu’à 1 500 morts par jour », précise Walter Kitsa, un ancien chauffeur de camion benne de l’équipe d’urgence mobilisée pour éviter la propagation des maladies.

Discours xénophobes

Trente ans ont passé. Les pistes de roche volcanique de la grande ville de l’Est congolais ont été remplacées par des avenues bétonnées. L’arbre sous lequel Chantal s’était nichée a été scié et la jeune femme a obtenu de nouveaux papiers d’identité congolais. Mais Goma, posée sur les rives du lac Kivu, n’a plus jamais vraiment retrouvé sa quiétude. Aujourd’hui, les discours xénophobes, notamment à l’encontre des populations rwandophones, s’y font entendre. Et la violence menace de nouveau toutes les communautés de la région.

S’est-elle un jour vraiment tue ? Entre 1996 et 1997, puis de 1998 à 2003, les provinces de l’Est congolais ont été ravagées par deux guerres régionales durant lesquelles plusieurs nations africaines, dont le Rwanda et l’Ouganda, se sont affrontées. Des insurrections locales, souvent appuyées par des puissances étrangères, ont pris le relais. Kigali, tout particulièrement, est accusé de participer à la déstabilisation de la zone en y envoyant son armée ou en soutenant des rébellions.

Celle active aujourd’hui est le Mouvement du 23 mars (M23) : des insurgés qui ont repris les armes fin 2021 pour, disent-ils, défendre les populations tutsi congolaises et qui gagnent du terrain dans l’Est, épaulés par l’armée rwandaise. Dimanche 7 avril, la mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) a mis en garde contre une situation sécuritaire « de plus en plus volatile », précisant que les rebelles ont « atteint la périphérie nord de Sake », à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Goma, et que « d’autres éléments armés ont été repérés dans le parc national des Virunga et menacent de couper la route Goma-Sake ».

Selon l’ONU, plus de 1 million de personnes ont dû quitter leur foyer depuis la reprise des combats entre les rebelles, l’armée régulière et leurs alliés respectifs. Dans les faubourgs de Goma, plusieurs centaines de milliers de déplacés se pressent dans des camps improvisés. Des familles échouées sur les mêmes parcelles des quartiers de Lac Vert et Mugunga, où s’étaient installés ceux qui fuyaient le Rwanda à l’été 1994.

Chasse à l’homme

A l’époque, des centaines de milliers de huttes recouvertes de bâches en plastique avaient poussé sur des dizaines de kilomètres aux portes de Goma. Une crise humanitaire sans précédent. En quelques semaines, Albert Balume avait vu sa propriété engloutie par les habitations de fortune et les réfugiés. « Nous vivions ensemble au nom de la solidarité », se souvient le cultivateur.

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Fin 1996, les camps ont été pilonnés par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), une rébellion congolaise dirigée par le futur président Laurent-Désiré Kabila et par l’armée rwandaise. La coalition a alors un double objectif : renverser Mobutu Sese Seko, au pouvoir depuis 1965, et neutraliser les anciens génocidaires qui se réorganisaient dans les camps de réfugiés en RDC pour reprendre le pouvoir à Kigali. Le 14 novembre 1996, les tirs à l’arme lourde sur la zone ont duré six heures, selon le rapport Mapping, un inventaire des violations des droits humains commises entre 1993 et 2003 publié par Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en 2010.

Mais les troupes de l’AFDL ne se sont pas arrêtées là et ont pourchassé les réfugiés rwandais jusque dans les profondeurs des territoires de Masisi, Walikale et Rutshuru, à l’ouest et au nord de Goma. Héritier Gashegu avait 6 ans quand il a vu ces soldats débarquer dans son village. « Ils ont abattu mon père, infirmier de la Croix-Rouge, en raison de son appartenance ethnique. Il était congolais, mais il était aussi Hutu », se souvient le trentenaire, le souffle court. S’ensuivent, pour le garçon et le reste de sa famille, plusieurs mois de privation, reclus dans la brousse, terrorisés par ce qu’il décrit comme une chasse à l’homme menée par l’AFDL et l’armée rwandaise. Deux de ses frères meurent alors de malnutrition.

En 2023, le gouvernement congolais a décrété le 2 août comme journée nationale en hommage aux Congolais tombés ces dernières décennies. « Mais cela ne suffit pas, les mêmes acteurs reviennent et nous avons besoin qu’ils soient jugés », développe Héritier Gashegu, qui s’est engagé dans une association de victimes des guerres au Congo, le Collectif des victimes de l’agression rwandaise (CVAR). « Il n’y a pas de mémoire collective en RDC et ceux qui racontent cette histoire la manipulent », poursuit-il.

Dans les collèges ou lycées, les élèves étudient tous les grands chapitres qui ont marqué leur pays, de la colonisation belge à l’indépendance, en passant par l’esclavage et le pillage organisé des ressources naturelles. Mais rien sur les trente dernières années. Omniprésente dans les discours politiques, l’histoire du génocide au Rwanda, de ses répercussions dans l’est du Congo et de l’implication des pays voisins n’est pas enseignée.

Aucun bilan humain de ce continuum de crises n’a pu être dressé précisément. Une étude de l’ONG International Rescue Committee, souvent reprise depuis, a établi que « le conflit et la crise humanitaire en RDC ont coûté la vie à environ 5,4 millions de personnes » de 1998 à 2008. Ce chiffre englobe indistinctement les victimes directes des combats et celles mortes à cause des mauvaises conditions sanitaires ou des épidémies liées au conflit.

Symbole d’espoir

A Goma, en l’absence de mémorial, les traces s’effacent avec le temps. Au cimetière de Makao, la stèle érigée en l’honneur des réfugiés rwandais morts du choléra en 1994 s’est écroulée et n’a jamais été remplacée. Un cortège funéraire de plusieurs centaines de personnes passe, indifférent, devant le mausolée mangé par les herbes hautes. La volubile Liberata Rubumba Buratwa présente ses condoléances à ceux qui viennent d’enterrer l’un des leurs, avant d’échanger les dernières nouvelles du front avec deux hommes à peine majeurs.

Depuis que les rebelles du M23, soutenus par l’armée rwandaise, se rapprochent de Goma, l’insécurité est partout et les menaces pour les civils viennent de tous les camps. « Hier encore, un chauffeur a été assassiné en pleine rue, d’une balle dans la tête, par des miliciens progouvernementaux », regrette l’un des jeunes hommes, qui n’a connu que la guerre depuis sa naissance. « Un jour, tout ça finira », réplique Liberata en regardant les collines voisines.

De l’autre côté de la frontière, une autre Liberata – rwandaise – vient tout juste de fêter ses 30 ans. Sa mère lui avait donné ce prénom après avoir été accueillie par son homonyme congolaise à son arrivée en RDC en 1994. Avec Chantal et Liberata, les deux réfugiées avaient vécu pendant quelques mois comme une famille unie, toutes générations confondues, en dépit des atrocités subies et des différences de nationalités. Un symbole d’espoir pour la Congolaise qui n’a jamais cessé de croire au retour de la paix.

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