L’opposition ivoirienne réussira-t-elle à former un front commun ? Telle est en tout cas l’ambition affichée par la formation de l’ancien président Laurent Gbagbo, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI). En conférence de presse mardi 13 août, à son nouveau siège flambant neuf de Cocody, le président exécutif du PPA-CI, Sébastien Dano Djédjé, a annoncé avoir engagé en toute « discrétion », depuis le 20 juillet, des discussions avec les principales forces politiques de l’opposition et une vingtaine de micropartis dans la perspective de la prochaine présidentielle d’octobre 2025. « Presque tous les responsables rencontrés ont donné leur accord de principe ou leur accord total » à un projet d’union, a indiqué M. Dano Djédjé, avec pour seul objectif : « Tout faire pour que le pouvoir du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ne soit plus là en 2025 ».
Cette initiative fait suite au meeting de Laurent Gbagbo, le 14 juillet, à Bonoua (sud-est), le fief de son ex-femme Simone Ehivet Gbagbo. Dans son discours, l’ancien chef de l’Etat avait lancé « un appel à toutes les forces politiques, à tous ceux qui, comme nous, pensent que ce gouvernement ne doit plus être là ». « J’ouvre mes bras, a-t-il ajouté, et j’appelle mes collaborateurs à accepter de discuter avec tous ceux qui veulent nous rejoindre dans ce combat. » Une ambition jugée irréalisable par le porte-parole du RHDP, Kobenan Kouassi Adjoumani, qui avait ironisé quelques jours plus tard sur l’absence de Simone Ehivet Gbagbo au meeting. « A cette rencontre, on n’a pas vu Mme Gbagbo. Il ferait mieux d’unir d’abord sa famille. »
Contre toute attente, le premier à répondre favorablement à Laurent Gbagbo a été Guillaume Soro, son ex-premier ministre, mais surtout ancien chef de la rébellion en exil depuis 2019. « Nous nous déclarons prêts, a annoncé Guillaume Soro le 9 août dans un communiqué, à engager des discussions pour définir les modalités d’une collaboration sincère avec le PPA-CI ainsi qu’avec toutes les forces politiques de l’opposition qui jugent nécessaire de rétablir la pleine éligibilité de nos leaders et concourir à l’obtention d’élections transparentes et libres. »
« Nécessité fait loi »
Car un point rapproche le PPA-CI de Générations et peuples solidaires (GPS), la formation de Guillaume Soro : l’inéligibilité de leur chef de file respectif, tous deux radiés des listes électorales après des condamnations judiciaires. « Nécessité fait loi, justifie Moussa Touré, responsable de la communication de GPS. Les autres leaders n’ont pas ce handicap. Il était donc évident que nous nous associions avec le PPA-CI pour mener ce combat particulier, dans le vaste ensemble des forces de l’opposition qui se battra pour obtenir la transparence, l’équité et l’inclusivité pour la présidentielle de 2025. »
Les contours de ce « vaste ensemble » ont commencé à être esquissés le 9 août, lorsque onze partis d’opposition, parmi lesquels figuraient le PPA-CI et GPS, mais aussi le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dirigé par Tidjane Thiam, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), dirigé par Charles Blé Goudé, et le Mouvement des générations capables (MGC), dirigé par Simone Ehivet Gbagbo, ainsi que deux organisations de la société civile, ont donné un point de presse commun au siège du PDCI, à Cocody. Un rassemblement inédit, destiné à réclamer d’une même voix des réformes du système électoral et un dialogue politique inclusif avant la prochaine échéance présidentielle.
Et c’est par la voix de Simone Ehivet Gbagbo que cet ensemble disparate de partis et d’organisations a choisi d’exprimer ses doléances. Après une brève introduction du vice-président du PDCI, Georges-Philippe Ezaley, qui a estimé que le parti hôte « ne pouvait être absent au Rassemblement de partis politiques ivoiriens et de la société civile, quels que soient nos différents bords politiques », l’ex-première dame a lu la déclaration commune du collectif nouveau-né, qui s’est donné deux objectifs : « afficher ensemble notre volonté commune de construire un groupement uni et solide » et « affirmer notre désaccord relatif au processus électoral tel qu’engagé actuellement ».
Car la Commission électorale indépendante a prévu de mener une révision de la liste électorale du 30 septembre au 31 octobre, période jugée insuffisante par le collectif, qui demande que l’opération soit étendue jusqu’à juillet 2025. Faute de quoi, a alerté Mme Ehivet Gbagbo, se « projette déjà le spectre d’une autre crise électorale aux conséquences imprévisibles en Côte d’Ivoire ».
« S’unir ou périr »
Le choix de Simone Ehivet Gbagbo « est venu tout naturellement », indique Patrice Saraka, le secrétaire général du Cojep. « C’est elle qui a tout fait pour que ce projet aboutisse, il faut avoir l’honnêteté politique de le dire. Elle en est l’initiatrice, nous y avons adhéré, et voilà le résultat. » Ce rapprochement, « personne ne l’a vu venir », reconnaît-il avec un rire. « Mais il est l’aboutissement d’un processus sur lequel MGC et le Cojep travaillent depuis le début de l’année. Les autres partenaires nous ont rejoints pour résoudre ensemble le gros problème auquel la Côte d’Ivoire est confrontée depuis 1995 : la récurrence des crises post-électorales. Nous estimons qu’il faut traiter ce problème à la racine, en améliorant notre système électoral défaillant. » M. Saraka se réjouit d’avoir vu « pour la première fois en Côte d’Ivoire tous les partis d’opposition dans une même salle. Il n’y a pas meilleur indicateur d’un rapprochement. » Le président du Cojep, Charles Blé Goudé, devrait rencontrer le PPA-CI dans les prochains jours, a par ailleurs annoncé Sébastien Dano Djédjé.
La forme que prendra cette future union est encore floue. Alliance électorale, coalition ? « Elle sera déterminée de façon consensuelle, promet Habiba Touré, la porte-parole du PPA-CI. Il y a forcément une diversité dans cette opposition, nous n’avons pas la même idéologie et nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais l’important, c’est que nous partageons le même constat sur les défaillances du système électoral et les améliorations à apporter pour prévenir toute crise. »
Quant à l’ancien parti de Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), désormais aux mains de Pascal Affi N’Guessan et allié au RHDP, il n’a pas signé la déclaration commune, mais a envoyé un représentant. Ces dernières semaines, des informations avaient filtré dans la presse locale selon lesquelles le FPI était déchiré en interne sur la conduite à tenir. Alors qu’une faction souhaiterait nouer une alliance avec le PPA-CI, Pierre Dagbo, l’un des vice-présidents du parti et proche de Pascal Affi N’Guessan, a affirmé que le FPI ne se sentait « pas concerné » par l’appel de Laurent Gbagbo, car n’était « plus un parti d’opposition ».
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« A quatorze mois de la présidentielle, l’opposition n’a pas le choix : s’unir ou périr », estime le politologue Geoffroy-Julien Kouao, pour qui seule cette union « peut créer une nouvelle dynamique ». Et si une candidature unique semble hautement improbable, il est possible en revanche qu’elle aboutisse à un report de voix, en cas de second tour, pour soutenir le candidat de l’opposition face à Alassane Ouattara ou au candidat RHDP.