L’année scolaire vient de débuter en Côte d’Ivoire, mais des étudiants par dizaines, portant des sacs ou des valises fermés à la va-vite, pressent le pas vers la sortie de l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, sous le regard attentif d’agents universitaires et des forces de l’ordre. Le 2 octobre, le ministère de l’enseignement supérieur a ordonné aux occupants illégaux des cités universitaires de les quitter sous peine d’en être expulsés manu militari.
Une décision qui s’inscrit dans le cadre d’une série de mesures judiciaires prises contre la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), puissant syndicat étudiant régulièrement accusé de pratiques violentes, voire mafieuses, et notamment connu pour sous-louer une partie des cités universitaires à son propre bénéfice.
Aux origines de cette décision : la découverte, lundi 30 septembre, du corps sans vie d’un étudiant et membre de la Fesci au CHU de Cocody. Mars Aubin Deagoué Agui, surnommé le « Général sorcier », suivait à 49 ans un master 2 à l’université Félix Houphouët-Boigny. Membre de la section Fesci de la cité universitaire d’Abobo 1, il était surtout réputé pour être un rival de son secrétaire général, Sié Kambou, élu en décembre 2023. Le corps de M. Agui « présentait des traces de violences physiques », selon un communiqué du procureur de la République diffusé le 1er octobre.
« Un acte de barbarie »
Ayant conclu à un homicide, le parquet a ouvert une enquête et interpellé Abdoul Karim Sidibé, un proche de Sié Kambou, « se disant agent de renseignement ». Toujours selon le communiqué, ce dernier aurait avoué avoir organisé, à la demande de Sié Kambou, une rencontre avec la victime, qui « l’a rejoint dans une cave sise à Angré Pétro Ivoire, où il a été enlevé par des individus à bord d’un [VTC] Yango pour une destination inconnue ».
Le secrétaire général et cinq autres membres du bureau de la Fesci ont été interpellés par la police criminelle dès le 1er octobre. Une arrestation qui a rapidement provoqué des échauffourées sur le campus.
Dans un communiqué conjoint publié le 2 octobre, le ministère de l’intérieur et celui de l’enseignement supérieur ont affirmé que Mars Aubin Deagoué Agui avait été « enlevé puis molesté par des individus identifiés comme étant membres [de la Fesci]», dénonçant « un acte de barbarie d’un autre âge ». « En attendant les conclusions de l’enquête ouverte par la police nationale », conclut le communiqué, le gouvernement a décidé, « à titre conservatoire, d’interdire toutes les activités des associations syndicales estudiantines sur l’ensemble du territoire national ».
Expulsion des squatteurs
Quelques heures plus tard, le ministère de l’enseignement supérieur ordonnait également aux étudiants « occupant les chambres des cités universitaires des différents CROU [Centres régionaux des œuvres universitaires] de façon illégale » de « libérer lesdites chambres en emportant tous leurs effets personnels » le jour même. Le 3 octobre, les forces de l’ordre se sont donc rendues dans les universités pour aider les agents des campus à en expulser les étudiants squatteurs, connus en Côte d’Ivoire sous le surnom de « Cambodgiens », en référence aux réfugiés de la guerre civile cambodgienne.
« C’était une crise latente depuis le mois de décembre », déplore Germain Kramo, enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouët-Boigny. La candidature de Sié Kambou avait en effet été contestée en interne, alors qu’Allah Saint-Clair, dit « Makélélé », président de 2019 à 2023, souhaitait prolonger son mandat à la tête du syndicat.
Bien que la victoire de Sié Kambou au congrès avait mis certaines voix critiques en sourdine, les rangs de la Fesci restaient divisés à son sujet. « Ces conflits de succession sont récurrents à la Fesci, souligne Germain Kramo. En 2000 et 2001, elle a connu la “guerre des machettes”, avec deux branches rivales soutenant respectivement Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara qui s’affrontaient sur les campus. »
Dissoute puis réhabilitée en 1993 et 1999 par le gouvernement d’Henri Konan Bédié, la Fesci n’avait plus connu de sanctions judiciaires d’ampleur depuis les années 2000, à l’exception d’une brève suspension en 2016 à la suite de grèves estudiantines. « Dans les grandes heures de la Fesci, à l’époque de Guillaume Soro [secrétaire général de la Fesci de 1995 à 1998] et Charles Blé Goudé [1998 à 2001], la police n’aurait pas pu venir arrêter un secrétaire général de la Fesci sans provoquer des remous à travers le pays », explique Germain Kramo.
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« Nous félicitons la police d’avoir réagi rapidement et nous attendons que justice soit faite, a réagi auprès du Monde Martial Joseph Ahipeaud, membre fondateur et premier secrétaire général de la Fesci. Mais il ne faudrait pas que le gouvernement profite de cette occasion pour mettre fin à la seule organisation syndicale qu’il n’arrive pas à maîtriser depuis la crise post-électorale de 2010-2011. »