Une mesure symbolique mais vaine. Jeudi 11 septembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a renouvelé pour un an l’embargo sur les armes au Darfour, dans l’ouest du Soudan. Le régime de sanctions, imposé mais contourné depuis 2004, apparaît toutefois plus que jamais dépassé. Le conflit qui oppose, depuis le 15 avril 2023, l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah Al-Bourhane, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », dévaste aussi d’autres parties du territoire, dont la capitale.
En refusant d’étendre cet embargo à tout le pays, le Conseil de sécurité a manqué l’occasion de peser sur cette lutte à mort pour le pouvoir, qui a provoqué la pire crise humanitaire au monde : 150 000 morts selon l’envoyé spécial américain pour le Soudan, Tom Perriello, 11 millions de déplacés et la déclaration de l’état de famine par le Comité de révision de la famine dans le Darfour. Une sanction que la mission onusienne d’établissement des faits recommandait pourtant « afin de mettre un terme à l’approvisionnement en armes, en munitions et au soutien logistique ou financier aux parties belligérantes ». Une opinion partagée par l’organisation Human Rights Watch selon laquelle « l’aspect “exclusivement Darfour” de cet embargo n’a aucun sens aujourd’hui, dans le contexte d’un conflit qui affecte la plupart des Etats fédéraux du Soudan ».
Outre l’élargissement géographique de l’embargo, la mission d’établissement des faits du Conseil des droits de l’homme de l’ONU préconisait une intervention onusienne au Soudan. « Compte tenu de l’incapacité des parties belligérantes à épargner les civils, il est impératif qu’une force indépendante et impartiale ayant pour mandat de protéger les civils soit déployée sans délai », a déclaré son président, Mohamed Chande Othman. La recommandation a été immédiatement dénoncée par le Conseil souverain soudanais du général Abdel Fattah Al-Bourhane.
« La vraie façon de mettre un terme à ce conflit n’est pas d’imposer un énième embargo inapplicable mais de faire directement pression auprès des puissances étrangères qui livrent des munitions aux deux armées », estime Magdi El-Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute, qui insiste sur « le rôle prépondérant joué par les Emirats arabes Unis ».
Armes chinoises, serbes, iraniennes, russes et émiraties
Dans cette lutte de factions alimentée par des puissances régionales, Abu Dhabi est accusé par l’armée soudanaise de fournir de l’armement aux FSR. Plusieurs enquêtes, notamment du groupe d’experts des Nations unies, ont identifié, en janvier 2024, l’aéroport d’Amdjarass, dans l’est du Tchad, comme un point de passage d’armes, de munitions et de matériel médical venus des Emirats vers le Soudan, en particulier vers le Darfour. Des livraisons destinées in fine aux forces de « Hemetti ». Si le trafic aérien s’est un temps arrêté, les vols en provenance d’Abu Dhabi vers le Tchad, opérés par les mêmes compagnies aériennes privées, ont repris depuis août 2024, avance une source sécuritaire.
Des armes de fabrication chinoise, serbe, iranienne, russe et émiratie ont été livrées depuis le début des hostilités, selon une enquête de Human Rights Watch. Ainsi, les FSR utilisent par exemple un drone de combat, dont les obus thermobariques sont fabriqués par une entreprise étatique serbe, Yugoimport. Cette dernière en a notamment livré aux Emirats arabes unis en 2020. Human Rights Watch n’est toutefois pas capable d’établir avec certitude leur circuit d’acheminement vers le Soudan. Les milices du général « Hemetti » se sont également équipées de munitions de mortiers et de brouilleurs de drones chinois, fabriqués en 2023, eux aussi importés en contravention du régime de sanctions.
Quant à l’armée soudanaise, elle a acquis des drones Mohajer-6 de dernière génération, tout droit sortis de l’entreprise d’armement liée au ministère de la défense iranien. Une enquête d’Amnesty International indique que plusieurs fabricants turcs livrent de l’armement à l’armée nationale du général Al-Bourhane, qui affiche sa proximité avec Ankara. Autre pays fournisseur, la Russie – qui a successivement soutenu les FSR puis l’armée nationale – a fustigé devant le Conseil de sécurité le « caractère inadmissible » des mesures imposées aux autorités soudanaises.
« Ces éléments renforcent l’idée que des Etats tiers sont impliqués dans la livraison d’armes au Soudan », assure Jean-Baptiste Gallopin, chercheur de Human Rights Watch, pour qui « l’extension de l’embargo nous paraissait évidente au regard du nettoyage ethnique et des violations des droits de l’homme en cours dans le pays ».
Une sortie de crise semble toujours inatteignable. Les discussions organisées en Suisse, au mois d’août, pour élargir l’accès humanitaire et établir un cessez-le-feu, se sont soldées par un échec en raison de l’absence de représentants du Conseil souverain d’Abdel Fattah Al-Bourhane à la table des négociations. Au lieu de se rendre à Genève, le général jurait alors qu’il serait prêt à « combattre pendant cent ans ».