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« Les Nigérians aiment faire des trucs fous pour impressionner les gens »

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« Franchement, mesdames et messieurs, est-ce que vous avez déjà vu un amour pareil ? », hurle dans son micro l’énergique maître de cérémonie, très chic dans sa veste brillante. Le marié vient de chanter un slow langoureux, debout sur la petite estrade présidée d’un côté par sa famille et de l’autre par celle de sa dulcinée. Cette dernière savoure le moment, engoncée dans une longue robe blanche corsetée et sertie de pierres brillantes, tenant près de son visage un minuscule ventilateur pour tenter de se rafraîchir. Devant eux, dans cette salle de Lagos décorée de voilages blancs et de tombereaux de roses, un parterre d’invités en grande tenue profitent du spectacle, commentent, se congratulent.

« C’est un assez gros mariage, plus de 700 invités. Mais on peut dépasser les 1 000 personnes », indique la très affairée Mercy, talkie-walkie en main, chargée de surveiller l’impressionnante logistique. A l’extérieur, des générateurs vrombissent pour alimenter la salle en électricité et en climatisation. Quelques mètres plus loin, les nombreux traiteurs envoient en continu des volées de serveurs vers les tables. A l’entrée, d’immenses photos de « Fewa et Emmanuel » ont été déployées. A l’intérieur, garçons et demoiselles d’honneur s’adonnent à une convaincante compétition de karaoké sur des tubes d’afrobeats chantés de tête.

Plus tard, le couple s’avance pour entamer la découpe d’une pièce montée immaculée : applaudissements, jets de feux de Bengale, flashs crépitants des photographes… Les mariages sont un « big deal » au Nigeria. Dans ce pays à la situation politique, économique et sécuritaire tourmentée, toute occasion est bonne pour faire la fête. Mais les noces restent, quelle que soit la catégorie sociale, la célébration la plus prisée.

« Les mariages sont les moments les plus importants dans nos vies », s’enthousiasme Faith en achetant des photos souvenirs d’elle et de son mari, immédiatement imprimées et encadrées sur place. L’affaire est particulièrement sérieuse pour les Yoruba, importante communauté du sud-ouest du pays – où se trouve Lagos – à laquelle appartiennent les amoureux du jour. Faith, leur tante par alliance, s’amuse d’être invitée à un mariage quasiment chaque week-end : « Le samedi, dans tout Lagos, ce n’est que réceptions, réceptions, réceptions… »

Trapézistes

Pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria est un géant pétrolier très inégalitaire où l’or noir et le capitalisme débridé ont forgé d’immenses fortunes. Chez les riches, les mariages prennent des proportions spectaculaires.

Il y a d’abord la débauche de luxe : robes de mariée commandées chez des couturiers de renom – constamment débordés –, suites réservées dans des hôtels haut de gamme pour se préparer, flottes de voitures rutilantes, fleurs fraîches parfois importées d’Europe par avion le matin même… Il y a aussi les immanquables surprises : invités de marque de la politique ou des affaires, stars de l’afrobeats embauchées pour pousser la chansonnette, performances en tous genres… Sur une vidéo transmise par une connaissance, deux trapézistes virevoltent au-dessus des convives en plein déjeuner.

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« Nos mariages sont très extravagants. Les Nigérians aiment juste faire des trucs fous. Ils veulent que les gens s’amusent et cherchent à impressionner », rit une jeune mariée qui préfère rester anonyme. Son mariage « traditionnel » s’est tenu quelques semaines plus tôt à Lagos, avant qu’elle ne s’envole avec plus d’une centaine d’invités pour la « réception » en Afrique du Sud. De cette expérience, elle garde un sentiment d’immense intensité, des « trous noirs » et « l’impression d’avoir été Beyoncé ».

Ces shows millimétrés ont une figure centrale : le « wedding planner » (l’organisateur de mariage). « C’est notre prérogative de réaliser ce qui semble inatteignable parce que c’est ce qui rend leur événement exceptionnel », raconte par téléphone Roli Essiet, directrice de The Paradise Events, affirmant que son premier rôle reste d’« alléger le stress ». Les budgets, dit-elle, peuvent dépasser les 100 000 euros. Dans son film The Wedding Party (2016), la réalisatrice Kemi Adetiba campe une « wedding planner » au bord de la crise de nerfs, confrontée à de multiples pépins de dernière minute, à commencer par les resquilleurs qui forcent l’entrée malgré la présence d’imposants vigiles.

« Arrosage d’argent »

Le film, un grand succès du prolifique cinéma nigérian, dépeint avec humour les codes et le déroulé de la réception. Chaque partie y fait son entrée dans une procession dansée : les familles, puis les garçons et demoiselles d’honneur, et enfin le couple. Sur les réseaux sociaux, d’innombrables vidéos témoignent de ce moment scruté. C’est notamment l’occasion d’admirer l’« aso ebi » (« vêtement de la famille », en yoruba), le tissu choisi pour chaque partie, dans lequel tenues et coiffes sont taillées spécialement pour l’occasion. Viennent ensuite les jeux, les prières, mais aussi, pendant les nombreuses danses, l’immanquable « arrosage d’argent ».

A la fois expression de joie, étalement de richesse et soutien financier non négligeable, le « naira spraying », du nom de la monnaie locale, est un incontournable de la culture populaire nigériane, particulièrement yoruba. « Plus tu danses, plus les gens s’emballent et plus ils te donnent de l’argent », poursuit notre mariée anonyme. Mais pour son grand jour à elle, les sacs spécialement achetés pour collecter cet argent sont pour beaucoup restés vides. Les autorités nigérianes ont en effet mené ces derniers mois une intense campagne de répression contre cette pratique jugée insultante envers la devise nationale en ces temps de profondes difficultés économiques.

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Au mariage de Fewa et Emmanuel, le maître de cérémonie n’a rien perdu de son énergie quand vient le moment attendu du premier slow. « S’il vous plaît, s’il vous plaît, restez assis, pas d’arrosage d’argent ! », s’époumone-t-il… avant d’appeler à envoyer les dons sur un compte bancaire dont il énumère laborieusement les chiffres.

Sommaire de la série « L’Afrique des riches »

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