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une guerre qui ne dit pas son nom en région Amhara

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Ce matin-là, les fidèles se préparaient à enfiler leurs châles blancs pour la traditionnelle procession de la Sainte-Marie à Merawi, une ville de la région Amhara, dans le nord-ouest de l’Ethiopie. Personne n’a atteint l’église. Des coups de feu ont retenti à l’aube et s’en est suivi un long affrontement entre l’armée éthiopienne et les Fanos, une milice amhara nationaliste. Plus tard, les soldats fédéraux ont ratissé la ville de 40 000 habitants à la recherche des rebelles, dans un porte-à-porte sanglant qui a fait environ une centaine de victimes, selon le rapport de l’organisation Human Rights Watch (HRW) publié le 4 avril.

Malgré la coupure d’Internet qui touche l’Amhara depuis plusieurs mois, des images de ce 29 janvier funeste ont été diffusées sur les réseaux sociaux : elles montrent des dizaines de corps sans vie éparpillés le long de la route principale de Merawi. Les récits des habitants, joints par HRW, décrivent une vengeance aveugle contre au moins quatre-vingts personnes, ramassés par les militaires à leurs domiciles ou dans des bistrots de la ville.

« Il semble qu’ils visaient les hommes ce jour-là », dit un résident, témoin de l’exécution sommaire de trois de ses voisins : un prêtre, un tailleur et un étudiant. « Pendant six heures, les soldats éthiopiens ont tiré sur des civils dans les rues et lors de perquisitions de maison en maison. Les soldats ont également pillé et détruit des biens civils », précise le rapport de HRW.

L’Amhara, une province de 30 millions d’habitants – la deuxième plus grande région éthiopienne –, est sous état d’urgence depuis août 2023. Sous le couvert d’une opération de maintien de l’ordre, le gouvernement fédéral du premier ministre Abiy Ahmed y mène une guerre sans merci contre les miliciens Fanos. « Les meurtres brutaux de civils perpétrés par les forces armées contredisent les affirmations du gouvernement selon lesquelles il tente de rétablir l’ordre dans la région », souligne Laetitia Bader, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch.

Les miliciens amhara face à l’armée fédérale

Pendant la guerre du Tigré (2020-2022), les Fanos ont combattu aux côtés de l’armée éthiopienne contre les rebelles tigréens. Mais se sentant marginalisés après l’accord de paix signé fin 2022 et craignant de perdre des territoires disputés qu’ils avaient conquis, les miliciens ont refusé de désarmer en avril 2023. Pour les y contraindre, une force venue de la capitale Addis-Abeba a été envoyée dans le nord-ouest. Les combats ont commencé en août.

Mouvement nationaliste issu des campagnes et défenseur autoproclamé de l’identité amhara, les Fanos étaient jusqu’à présent peu structurés. « Mais depuis un an, plus de la moitié des forces spéciales amhara – un détachement régional de l’armée fédérale – a rejoint l’insurrection fano et a amené avec eux un savoir-faire et des armes, précise Mengistu Assefa, un chercheur indépendant basé dans la capitale éthiopienne. Depuis, ils font plus que résister. »

L’Amhara est désormais pratiquement coupée du reste de l’Ethiopie, l’axe routier qui relie la province à Addis-Abeba étant fermé par l’armée depuis un mois. La presse ne peut se rendre sur place et les Nations unies n’y ont qu’un accès restreint. Le Parlement fédéral a été contraint de prolonger l’état d’urgence pour quatre mois supplémentaires en février devant la résilience des miliciens qui bénéficieraient également d’un soutien de l’Erythrée voisine, selon plusieurs sources.

Des centaines de civils tués

Le 2 mars, les Fanos sont parvenus à s’emparer de la capitale régionale, Bahir Dar, pendant une journée. Dans cette même ville, les membres de l’administration vivent aujourd’hui reclus dans un hôtel, sous haute protection militaire, de peur d’être la cible d’un attentat. D’après les autorités régionales, les dégâts liés à la guerre avoisinent les 260 millions de dollars (240 millions d’euros).

Dans le bastion des Fanos, dans l’ouest de la région, l’armée éthiopienne ne se déplace presque plus et recourt principalement aux frappes de drones, y compris dans les centres-villes. Des centaines de civils en ont fait les frais. Le chef d’état-major Berhanu Jula s’est même enorgueilli, lors d’une interview à la télévision nationale en décembre 2023, de l’utilisation de la récente flotte d’aéronefs sans pilote acquise par Addis-Abeba – des appareils chinois, turcs et iraniens – sur son territoire.

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« Les accusations de massacres et de frappes de drones contre des civils ont l’effet inverse et cimentent le soutien apporté aux Fanos en région amhara », assure Mengistu Assefa. De plus, Eskinder Nega, un opposant qui fut candidat à la présidentielle de 2021 et populaire au sein de la région amhara, a pris le maquis et rejoint la lutte armée.

Les investisseurs inquiets de l’instabilité

Les Etats-Unis, suivis par les pays européens, se sont dits « profondément inquiets » des agissements de l’armée éthiopienne à Merawi contre les populations civiles et ont appelé à des enquêtes. Un net changement de ton par rapport aux gestes d’apaisement de l’année passée.

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En 2023, Washington a en effet retiré l’Ethiopie de sa liste des pays « commettant de grossières violations des droits de l’homme ». Et en octobre de la même année, les partenaires occidentaux du pays ont contribué à enterrer la Commission internationale d’experts sur les droits humains en Ethiopie (Ichree) des Nations unies, le seul organisme capable d’enquêter sur place.

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Cette double décision, vécue comme des compromissions par les organisations de protection des droits humains, aurait-elle donné un blanc-seing à Abiy Ahmed ? Son gouvernement procède désormais dans l’impunité à une répression brutale en Amhara et en Oromia, et arrête de nombreux opposants à Addis-Abeba, y compris des journalistes étrangers. Trois députés amhara sont derrière les barreaux, tout comme le ministre adjoint de la paix.

Au moment où le premier ministre promet de libéraliser le système éthiopien et espère obtenir un programme du Fonds monétaire international (FMI) pour compenser le surendettement de son pays, les investisseurs s’inquiètent de l’instabilité qui règne dans le Nord, alors que la paix au Tigré est encore fragile. « Pour l’instant, il n’y a ni une solution militaire au conflit, ni la volonté de négocier une solution politique », analyse Mengistu Assefa.

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