Analyse
Le 10 juin, sur BFM-TV comme dans l’ensemble des médias, l’heure est à la recherche des Français qui, la veille, lors du scrutin européen, ont exprimé leur préférence pour l’extrême droite. A Chivy-les-Etouvelles (Aisne), l’équipe de reportage de la chaîne d’information tombe sur Jean-Claude, électeur du Rassemblement national (RN). « L’insécurité, tout ce qu’on voit… On peut même plus sortir. Vous ne voyez pas ? Vous prenez des coups de couteau… », justifie le quinquagénaire. « Pas à Chivy ! », l’interrompt le maire à ses côtés. « Pas à Chivy, non, mais il n’y a qu’à regarder les informations, ça craint ! »
Dix jours plus tard, sur France 2, un reportage du magazine « Envoyé spécial » donne à voir le déchaînement de haine raciste d’un couple de retraités envers leur voisine, Divine Kinkela. « Qui ne respecte pas la France ? », interroge la journaliste. « Je vois à la télé, je suis quand même pas con… , répond Didier, militant du RN. Je vois à la télé comment ça se passe. C’est les “Moustapha”, tout ce que vous voulez. »
Comme souvent depuis vingt-deux ans et l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle − à l’époque, TF1 avait été accusée d’avoir surmédiatisé l’agression d’un retraité orléanais, « Paul Voise » −, la question revient hanter les rédactions télé : quelle responsabilité prendre, dans le verdict des urnes ? De fait, des voix, y compris parmi les journalistes, soulignent la responsabilité des télévisions, des radios, des journaux dans la description d’une France collant étroitement à la vision politique de l’extrême droite.
« Qui fait le lit des populismes ?, interrogeait ainsi le Syndicat national des journalistes, le 18 juin, en ouverture d’un comité social et économique à France Télévisions, dans une question toute rhétorique. Qui a mis récemment un président de parti d’extrême droite au même niveau qu’un premier ministre en prime time ? − une allusion au débat qui a opposé Jordan Bardella à Gabriel Attal, le 23 mai, sur France 2. Qui, à coups de micro-trottoirs, depuis une semaine, essaie de nous expliquer les raisons d’une colère ponctuelle alors qu’elle est profonde ? »
Pertes de contact
L’audiovisuel public n’est pas le seul à s’interroger. Dans les médias privés aussi, on fait son examen de conscience, quitte à retourner les critiques vers les confrères. « Il y a une façon déploratoire de traiter l’actualité, qui ne convoque pas une réflexion – à la différence de la critique, nécessaire –, mais un sentiment, relève David Pujadas, présentateur de « 24H Pujadas », sur LCI. Par exemple, j’entends parler de “la souffrance” des glaciers ou d’un “drame” pour la sardine à l’occasion de l’implantation d’un parc éolien… Si l’on n’est que dans l’émotion, on nourrit les populismes. »
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