En 1993 déjà, [les metteurs en scène] Patrice Chéreau [1944-2013], Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent [1942-2020] et Alain Crombecque [(1939-2009) ancien directeur du Festival d’Avignon] signaient une lettre ouverte alors qu’une baisse de 5 % était annoncée, après des réductions budgétaires successives. Ils manifestaient leurs inquiétudes, en écrivant notamment : « La considération du rôle réservé aux pratiques artistiques dans cette lutte incessante entre barbarie et civilisation est un des critères selon lequel on juge une société, un gouvernement. »
Le mal est ancien, certes, mais la situation d’alors n’avait pas le caractère désespérant qu’elle revêt aujourd’hui. En effet, il n’est pas une semaine depuis des mois où l’on ne puisse lire des articles alarmants sur la situation des théâtres de France.
Toute la pyramide des équipes de création est concernée, des théâtres nationaux jusqu’aux compagnies – équipes de création de théâtre, danse, musique, cirque, etc., qui sont la plupart du temps sans lieu fixe
d’implantation. Et ne tombons pas dans le piège qui consiste à opposer les uns aux autres car, dans tous les cas, ce sont bien tous les acteurs, techniciens, auteurs, metteurs en scène, etc., qui seront réduits à l’inactivité. Chacun des secteurs a besoin de l’autre.
Démantèlement programmé
Dernièrement, afin soi-disant de résorber le déficit de la nation, 200 millions d’euros ont été amputés du petit budget du ministère de la culture qui pourrait connaître en 2025 des réductions encore plus sensibles. Cette situation ouvre une crise à venir sans précédent. Choisissant l’affaiblissement, la mise en sommeil de nombre de lieux, voire la disparition des plus fragiles des compagnies, le politique accélère le fait que le monde se défasse.
Pour tenter de refaire du commun, nous avons besoin de débats, de confrontations d’idées et d’espaces sensibles dont les fictions sont porteuses en nous offrant un accès à l’autre. Ces confrontations sont nécessaires et stimulantes dans toute société ayant l’ambition d’être une démocratie. Les porte-parole des discours les plus réactionnaires ont-ils définitivement imposé leur « hégémonie culturelle » ?
Si cette situation se maintenait, ce ne pourrait être que la première étape d’un démantèlement programmé. Une fois les moyens octroyés à la création amputés, il sera alors aisé de déclarer que, des lieux de création aux compagnies, aucun ne remplit sa mission et donc, dans un deuxième temps, d’en réduire encore les moyens.
Et ce d’autant plus aisément que des voix ne manqueront pas de s’élever pour dire que certaines entreprises privées, qui se passent ou presque de subventions, sont à même de mettre en œuvre des spectacles qui rencontrent un large public. Va-t-on saccager cet héritage de la décentralisation culturelle, qui, malgré quelques dysfonctionnements ponctuels, nous est enviée partout dans le monde ?
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