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« Par le passé, ce n’est jamais le peuple qui a abandonné la démocratie, mais les élites »

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Professeur de théorie politique à l’université de Princeton (New Jersey), le philosophe allemand Jan-Werner Müller est à Paris, invité par le Collège de France à donner une série de conférences intitulée « L’Europe démocratique ». L’auteur de Liberté, égalité, incertitudes (Premier Parallèle, 2022) analyse pour Le Monde la progression des populismes en Europe, sensible dans les résultats des élections européennes, et la place du Rassemblement national dans cette nouvelle galaxie politique.

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Le Rassemblement national mérite-t-il, selon vous, l’étiquette de parti populiste qu’on lui accole fréquemment ?

Oui, mais attention, l’étiquette « populiste » est souvent mal utilisée. Le populisme, à mes yeux, est avant tout une stratégie qui consiste pour un acteur, un mouvement ou un parti politique à prétendre représenter le « vrai peuple ». Cette stratégie comporte deux volets. Le premier est la critique des élites, le fameux « tous pourris » – avec notamment pour conséquence un fort discrédit jeté sur le reste de la classe politique, considérée comme corrompue. Le deuxième volet est l’exclusion du « peuple » de tous les individus ne correspondant pas à la définition symbolique du « vrai peuple », en particulier les étrangers, les minorités ou les opposants. Un exemple : en 2002, après sa défaite aux élections législatives qui lui coûte le pouvoir, Viktor Orban harangue la foule en clamant que « la patrie ne peut être dans l’opposition » : on entend bien dans cette déclaration que, pour le premier ministre hongrois, « la patrie » n’inclut pas ses adversaires politiques, considérés comme des étrangers, des traîtres.

Ce que nous appelons l’extrême droite, en revanche, est une idéologie : le terme désigne des positions très claires concernant l’immigration, les réfugiés, l’écologie – car, en Europe, les extrêmes droites se singularisent par leur rejet du pacte vert. Ces deux phénomènes sont distincts, même s’ils peuvent bien sûr aller de pair, et la facilité avec laquelle l’idéologie d’extrême droite se combine avec la stratégie populiste n’est plus à démontrer – la façon qu’ont les populistes de droite de placer la nation au cœur de leur discours est leur manière de définir le « vrai peuple ». J’ajouterais même que la stratégie populiste n’est pas neutre politiquement : parce qu’elle est antipluraliste, elle est toujours antidémocratique et porte en elle un imaginaire et des pratiques autoritaires.

La stratégie populiste est-elle seulement une stratégie de conquête du pouvoir, ou peut-elle être une stratégie pour l’exercer ?

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