Comme chaque 15 août, la procession de Notre-Dame de Trapani a rassemblé fidèles et curieux dans l’ancien quartier sicilien de la Goulette. Regards et évocation d’une communauté presque évanouie.
J’ai les yeux fixés sur les ruines de la Petite Sicile et les horizons humains qu’elles soulignent.
Ici, dans ce damier de ruelles qui portent parfois les noms de Justinien ou Scipion, une ville s’est évaporée dont il ne reste que les traces et la splendeur d’une église.
Dans ce dédale qui n’existe plus tout à fait, ma voix fait renaître des noms anonymes et, au-delà du hiatus, quelques fantômes du passé sicilien de ce quartier.
À haute voix, j’ai égrené les noms comme dans une litanie, une ode ou un récitatif. À voix nue, j’ai dit la poussière des siècles qui ne sont rien pour la mer.
Ces noms, les voici, un par un, pour conjurer l’oubli et dire la vie et les rêves évanouis des Siciliens de Tunisie.
– Salvatore Bertolino, pêcheur, qui habitait près de l’église et dont les enfants sont tous nés dans ce quartier.
– Joseph Cannamela dont le père et le grand-père ont vu le jour dans la maison voisine.
– Norbert Savalli dont le père était gardien au port et Denis Casuccio dont le grand-père était boulanger.
Et tous ceux qui, nés au Kram étaient baptisés et inscrits à l’état-civil à la Goulette. Et tous ceux qui conjuguaient dans leur sang Malte et Sicile et parfois Corse et Sicile.
Et tous ces noms épars aux consonances si tunisiennes malgré les sonorités. Ce sont justement les patronymes de notre diversité et, à défaut de les citer tous, je les réciterais simplement jusqu’à en perdre haleine.
Dominici, Spina, Rosso, Montalbano, Guarnieri, Graziano, Cavarretta, Incandella, Gioiosa, Morana, Gennaro, Graffeo, Licata, Teresi, Sciortino, Gigante, ingargiola, Ferreri, Cavasino, Cicala, Poma, Bottalico, Borsoni, Messina, Giannotti, Macaluso, Randazzo, Ferro, Campo, Berlingeri, Cottone, Fratallia, Polsinelli, Lagattura, Parisi, Sammartano, Forte, Benvenuti, Natoli, Di Giacomo.
Une pensée recueillie pour eux et, selon la formule consacrée, Viva la Madonna di Trapani.