Après une année d’interruption due aux tragiques événements de Gaza, le Festival international du film du Caire a fait son grand retour le 13 novembre 2024. La 45ᵉ édition, dédiée aux peuples palestinien et libanais meurtris par des guerres meurtrières, s’est imposée comme un vibrant plaidoyer pour la paix et la résilience, tout en honorant le 7ᵉ art dans toute sa splendeur.
Une ouverture sous le signe de la Palestine
Dès les premières minutes de la cérémonie d’ouverture, organisée à l’Opéra du Caire, le ton était donné. Un hommage bouleversant à la culture palestinienne a marqué les esprits avec une performance de Dabke, danse folklorique palestinienne. Les artistes, venus de Gaza, portaient des costumes traditionnels et des keffiehs, symboles de leur identité et de leur résistance.
La prestation a été accompagnée de la chanson engagée Falastini, et la scène s’est illuminée aux couleurs de la Palestine. Ce moment fort, chargé d’émotion, a été suivi par l’intervention de Hussein Fahmy, président du festival, qui a rejoint les danseurs pour les applaudir chaleureusement. Il a déclaré :
« Ces artistes sont la preuve que, malgré les souffrances, la culture palestinienne reste vivante et vibrante. »
Des symboles de solidarité omniprésents
Les invités de la cérémonie ont reçu des pins représentant le drapeau palestinien, que beaucoup ont fièrement affichés. Certains étaient habillés en hommage à la Palestine, portant des écharpes à motif de keffieh ou des robes traditionnelles brodées. Cette initiative visait à souligner la solidarité de la communauté cinématographique avec le peuple palestinien.
Hussein Fahmy a rappelé que cette édition, prévue initialement en 2023, avait été annulée par solidarité avec Gaza : « Nous ne pouvions pas rester indifférents face à cette tragédie. Cette année, il était impossible de reporter de nouveau, mais nous avons choisi de dédier cette édition à nos frères et sœurs en Palestine et au Liban, qui continuent de souffrir. »
Une cérémonie empreinte d’émotion et de mémoire
Dans un discours émouvant, Hussein Fahmy, visiblement profondément touché par la récente perte de son frère Mustafa Fahmy, a exprimé que, malgré la tristesse et les épreuves, les artistes ont une responsabilité envers leur public, qu’ils se doivent de remplir. Il a insisté sur le fait que « le show doit continuer ». Ses paroles trahissent non seulement une douleur personnelle, mais également une conviction inébranlable quant à la mission des artistes, même dans les moments les plus difficiles.
Ses propos semblent aussi adresser une réponse directe aux critiques exprimées sur les réseaux sociaux, où certains ont remis en question sa présence à la conférence de presse récente annonçant le programme du festival, alors qu’il venait à peine de dire adieu à son frère. Hussein Fahmy, malgré son deuil, a choisi de maintenir son engagement envers le festival. En tant que président, il portait la responsabilité de ne pas laisser tomber des mois de travail et les efforts d’une multitude de personnes investies dans la réussite de cette édition. Abandonner n’était pas une option. La douleur peut habiter l’âme, mais la vie, avec ses obligations, continue pour ceux qui ont des responsabilités à honorer.
Hussein Fahmy a également profité de l’occasion pour rendre hommage aux figures du cinéma égyptien disparues en 2024. Il a souligné que « l’art est présent dans les épreuves et les crises ; le cinéma a ce pouvoir de raconter des vies, des rêves et des victoires. Certains ne sont plus parmi nous, mais leur travail continue de résonner » et a énuméré des noms tels qu’Ashraf Abdel Ghaffour, Nahed Farid Shawky, Salah Al-Saadani, Essam Al-Shamaa, Atef Beshay, Hassan Youssef, ainsi que son propre frère Mustafa Fahmy. Il a également évoqué le rôle du cinéma comme gardien de la mémoire collective, déclarant : « Le cinéma est une arme contre l’oubli. Nous devons continuer à raconter les histoires, même lorsque nous sommes accablés par la douleur. »
120 ans de cinéma égyptien : restaurer pour préserver
Une des initiatives majeures de cette édition du festival a été la restauration et la numérisation d’œuvres incontournables du cinéma égyptien. Hussein Fahmy a rappelé l’importance de cette démarche en précisant : « Le cinéma égyptien, qui fête ses 120 ans cette année, constitue l’un des patrimoines cinématographiques les plus riches au monde. Mais ce trésor est en danger : les films se détériorent avec le temps, et nous risquons de perdre des chefs-d’œuvre à jamais. »
Lancée lors de la dernière édition en 2022 avec deux films restaurés, cette initiative a pris une ampleur considérable cette année. Dix films classiques, parmi lesquels Le Palais du désir, Les Oiseaux d’automne et Quelque chose de la peur, ont été restaurés et sous-titrés pour être projetés dans les meilleures conditions au public du festival.
Pendant son discours, Hussein Fahmy a également dévoilé une vidéo montrant des extraits de films avant et après restauration, mettant en évidence le travail colossal effectué pour redonner à ces œuvres leur éclat d’origine. Il a ajouté : « Actuellement, 12 autres films sont en cours de restauration. À terme, nous avons pour objectif de sauver les 1 140 films qui composent notre patrimoine cinématographique. »
Ces films restaurés ne sont pas uniquement destinés aux spectateurs égyptiens. Grâce aux sous-titres, ils pourront être diffusés dans des festivals et cinémathèques à travers le monde, offrant ainsi une seconde vie à ces joyaux oubliés.
Les nouvelles initiatives et les compétitions
Outre la restauration, le festival a lancé cette année l’initiative Art 74, qui vise à promouvoir le dialogue entre artistes visuels et cinéastes, soulignant l’interconnexion des arts. Ensuite, ont été présentés les films en compétition dans les différentes catégories, suivis d’une présentation des membres du jury. Un hommage a été rendu au président du jury, Danis Tanović, par une projection d’extraits de ses films, rappelant son impact dans le cinéma international.
Hommage à Yousry Nasrallah : un maître du cinéma
Le moment fort de la soirée a été la remise de la Pyramide d’Or pour l’ensemble de sa carrière au réalisateur Yousry Nasrallah. Ce cinéaste visionnaire, connu pour ses œuvres audacieuses comme Mercedes, La ville, La Porte du Soleil et Après la bataille, a marqué le cinéma égyptien en explorant des thématiques complexes telles que l’identité, la politique et les inégalités sociales.
Dans son discours, Nasrallah a salué l’importance du cinéma comme outil de réflexion et d’unification : « Le cinéma nous permet de comprendre notre passé, d’interroger notre présent et de rêver à un avenir meilleur. »
Il a également rendu hommage aux cinéastes palestiniens, qualifiés de « gardiens de la mémoire et de l’espoir ».
Ahmed Ezz : un acteur d’exception honoré
La cérémonie a également mis à l’honneur l’acteur égyptien Ahmed Ezz, figure emblématique du cinéma arabe, en lui décernant le Prix Faten Hamama pour l’excellence artistique.
Revenant sur ses débuts, Ahmed Ezz a livré un discours émouvant, racontant comment ses parents étaient contre qu’il abandonne un métier stable pour se tourner vers le cinéma, et comment assister à l’ouverture du Festival du Caire était un rêve pour lui. « Quand j’ai commencé, je n’avais pas imaginé que je me tiendrais ici aujourd’hui. Ce prix n’est pas seulement pour moi, mais pour tous ceux qui m’ont soutenu et appris à croire en moi. »
Il a dédié cette récompense à ses parents décédés et à son mentor, Adel Imam, avant de conclure : « Je considère ce prix comme une motivation pour aller encore plus loin. »
Un film d’ouverture poignant : Songes de Rashid Masharawi
La soirée s’est conclue avec la projection de Songes, un film du réalisateur palestinien Rashid Masharawi. Tourné en 2023 avant le début de la guerre, ce long-métrage explore avec sensibilité les injustices subies par le peuple palestinien.
Une édition riche en événements et compétitions
Avec 190 films issus de 72 pays, dont 37 premières mondiales, le Festival du Caire 2024 s’annonce comme une célébration majeure du cinéma mondial. Les projections, les discussions avec les cinéastes et les ateliers offrent une plateforme unique pour explorer les enjeux du cinéma contemporain.
Mais au-delà des films, cette édition se distingue par son message humaniste : un hommage vibrant aux cultures qui résistent face aux épreuves.
Neïla Driss