« Au Niger, le président Bazoum est otage de la junte depuis neuf mois, l’impasse ne peut plus durer »

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Le coup d’Etat du 26 juillet 2023 au Niger, avec la séquestration du président Mohamed Bazoum et de son épouse, a interrompu une séquence démocratique qui était sans doute perfectible, mais fonctionnait bien par rapport aux standards internationaux et mieux que jamais auparavant dans l’histoire récente du pays. Le régime respectait les libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et l’habeas corpus aujourd’hui disparus. Les programmes de développement produisaient des résultats tangibles.

La diffusion d’une photo récente de l’ancien président Mahamadou Issoufou venant saluer le chef de la junte au pouvoir, s’ajoutant aux propos de l’ambassadeur de France Sylvian Itté devant l’Assemblée nationale française, alimente les soupçons d’une large partie de la population sur ses responsabilités dans le coup d’Etat.

Cette image discrédite les élites politiques aux yeux des Nigériens. Pour la mouvance salafiste, c’est l’illustration de l’immoralité d’une classe politique impie et la démonstration supplémentaire que la démocratie dont elle se prévaut n’est qu’une imposture fondamentalement incompatible avec nos valeurs les plus sacrées.

L’idée dominante depuis la conférence nationale de 1991, que les coups d’Etat sanctionnent les dysfonctionnements de la démocratie, non son principe, ne fait plus consensus, pas même parmi les étudiants, naguère fers de lance des luttes démocratiques. Ceux qui, comme le président Bazoum, croient aux vertus de la démocratie doivent s’organiser pour la défendre, sous peine qu’elle disparaisse de notre pays pour longtemps. L’élection de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal, qui montre que le changement est possible par les urnes lorsque le peuple le désire réellement devrait rassurer ceux qui rêvent de dégagisme.

Une rhétorique souverainiste surannée

Pour le moment, deux attitudes émergent de la communication des militaires au pouvoir au Niger : le déni de réalité d’une situation économique, qui va de mal en pis, avec des opérations financières de l’Etat dans l’impasse, comme en attestent les défauts de paiement notamment au FMI ; et, d’autre part, la promotion de « passions tristes », attisées par une rhétorique souverainiste surannée, qui se veut une vulgarisation sahélienne du discours décolonial.

Cette posture montre que la junte est indifférente au sort des populations et n’a aucun projet de développement pour le pays. On ne voit pas comment la Russie, avec un PIB en volume de l’ordre de celui du Texas, offrira à notre pays plus d’opportunités que nos partenaires européens et américains congédiés. La sortie de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) entravera un peu plus l’insertion du Niger au commerce mondial en compliquant davantage son accès à la mer et déstabilisera les échanges avec le Nigeria, son partenaire économique régional le plus important.

En neuf mois, ce pouvoir a déconstruit tout ce qui fonctionnait – projets de développement arrêtés mais endettement selon le schéma du prêt toxique de la Chine à la Zambie – et n’a rien réparé de ce qui allait mal : les attaques djihadistes ont entraîné, depuis le putsch, au bas mot, la mort de dix fois plus de soldats que la totalité des cinquante-neuf pertes enregistrées durant les deux années de la présidence de Mohamed Bazoum.

Dénuée de toute légitimité démocratique, la junte ne peut se prévaloir, à ce jour, de la moindre légitimité liée à ses performances. Il faut savoir qu’en 2022, 47 % des enfants âgés de moins de 5 ans souffraient de malnutrition chronique et que plus de 50 % des Nigériens vivent sous le seuil de pauvreté, pour prendre toute la mesure de l’urgence qu’il y a de sortir de cette situation.

Redémarrer la machine du développement

S’agissant du mythe enivrant d’une bénédiction des ressources naturelles, mobilisé pour duper temporairement les plus jeunes, il suffit de rapporter la rente que l’on peut espérer tirer de l’uranium et du pétrole au nombre de Nigériens, qui croît rapidement (3.7 % par an), pour passer du rêve à la réalité.

Et puis, même l’exploitation de ces ressources nécessitera des capitaux et peut dérailler en malédiction, si elle n’est pas gérée avec compétence et équité, qualité et vertu dont le gouvernement des putschistes semble totalement dépourvu. Il ne faut donc pas se méprendre sur l’enjeu de nos relations avec les partenaires extérieurs.

Nous avons besoin de l’épargne des autres pour financer les investissements générateurs d’une croissance économique créatrice d’emplois, afin de combattre la pauvreté, comme le font l’Ethiopie et le Bangladesh. Attirer des investissements directs étrangers est la seule façon à notre portée de tirer profit de la mondialisation, ce qui est impossible dans la situation actuelle.

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II est temps pour les Nigériens de contraindre la junte à libérer le président Mohamed Bazoum et à engager un processus de retour à un gouvernement démocratique, pour redémarrer la machine du développement. Nous aurons, j’en suis convaincu, l’aide de tous les démocrates d’Afrique et d’ailleurs pour y arriver.

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