La Côte d’Ivoire, une économie performante mais inégalitaire

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C’est un colloque relativement discret qui s’est tenu jeudi 25 avril à l’hôtel Ivoire d’Abidjan : une salle aux proportions modestes, deux ministres seulement aux rangs des panélistes et une couverture médiatique restreinte. Pourtant, les conférences annuelles « Risque pays » de l’agence de notation panafricaine Bloomfield Investment Corporation, installée dans la métropole ivoirienne, sont depuis 2017 sur un événement attendu pour situer l’état des économies du continent.

Le rapport publié à cette occasion est destiné à établir « une cartographie du risque d’investissement » en croisant l’analyse des performances des finances publiques, du système financier et du risque sociopolitique du pays. Des critères sur lesquels la Côte d’Ivoire s’est avérée globalement performante en 2023, selon Bloomfield qui lui attribue la note de 6,5 sur 10, en légère hausse depuis 2022 (6,2), et dit « recommander l’investissement dans le pays ».

Mais le président de l’agence, Stanislas Zézé, souligne également les faiblesses de l’économie ivoirienne et la régression de l’indice de son développement humain, suscitant des doutes sur la capacité de la Côte d’Ivoire à maintenir sa croissance sur le long terme. Une analyse qui a suscité une pointe d’irritation de la ministre du plan et du développement, Nialé Kaba, assise au premier rang de l’assistance.

Sur les performances macroéconomiques, « la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus performants d’Afrique, avec un taux de croissance attendu à 7 % en 2023 », a d’abord salué Stanislas Zézé. Mais l’entrepreneur aux incontournables chaussettes rouges a également pointé la vulnérabilité aux effets du changement climatique d’une économie principalement agricole. Les bouleversements du climat devraient faire perdre à la Côte d’Ivoire 3 à 4,5 % de son PIB par an en moyenne, d’après les projections du gouvernement sur la période 2020-2030, un chiffre qui pourrait même dépasser 12 % du PIB d’ici à 2050.

Le service de la dette, « une inquiétude à surveiller »

L’industrialisation effectue quant à elle des progrès « lents », avec un secteur secondaire poussif tiré par la bonne tenue de l’activité extractive (+ 18,7 %). Une performance « grandement améliorée » par la découverte des gisements de pétrole et de gaz, Baleine et Calao, a signalé Stanislas Zézé, qui « font entrer la Côte d’Ivoire dans la catégorie des grands producteurs d’hydrocarbures ».

Sur la gestion des finances publiques, le président de Bloomfield a salué des recettes budgétaires en hausse de 17,4 % par rapport à 2022, mais rappelé que l’endettement total représentait 55,9 % en septembre 2023. « Bien que l’endettement total reste sous le seuil critique de 70 % du PIB, a reconnu M. Zézé, le service de la dette par rapport aux recettes fiscales est en hausse de 68 % et devient une inquiétude à surveiller à court et moyen terme. » Notamment car moins de 10 % des actifs subissent l’intégralité de la pression fiscale dans une économie à près de 90 % informelle.

Le système monétaire et financier se porte très bien, en revanche, avec une progression des performances des banques de 16,3 % par rapport à l’année précédente. Mais, malgré trois relèvements successifs des taux directeurs par la BCEAO en 2023, l’inflation en Côte d’Ivoire atteint désormais 4,4 %, bien au-delà du niveau communautaire de 3 %. Un taux considéré comme « un facteur de fragilité » par M. Zézé.

Sans compter que le niveau de développement humain s’est encore dégradé, faisant passer la Côte d’Ivoire de la catégorie des pays à développement humain modéré à celle des pays à développement humain faible. En cause : la baisse du taux de scolarité des enfants, un système sanitaire « en souffrance » avec une « grave pénurie d’équipements médicaux » et un déficit de personnel soignant qualifié, contribuant au recul d’un an de l’espérance de vie à la naissance.

Un « climat politique majoritairement stable »

Sur le plan du climat des affaires, la Côte d’Ivoire a progressé dans sa lutte contre la corruption, selon le classement de Transparency International où l’indice du pays passe de 37 sur 100 en 2022 à 40 sur 100 en 2023. Si des réformes institutionnelles ont été menées en ce sens, ce progrès est illusoire, a laissé entendre Stanislas Zézé, tant que les structures concernées, en particulier la Haute Autorité pour la bonne gouvernance, restent assujetties au pouvoir.

Quant à la situation sécuritaire, elle semble contrôlée, avec un indice très bas – 1,1 sur 5 –, « ce qui constitue un environnement hautement sécurisé », s’est félicité M. Zézé, en dépit de « quelques inquiétudes concernant les risques dans le Nord ». Les Etats-Unis, dont l’ambassadrice était présente dans la salle, ont récemment alerté les autorités ivoiriennes sur le risque d’une attaque djihadiste près de la frontière septentrionale, menace qui « doit être prise très au sérieux », estime Stanislas Zézé.

Mais c’est sur l’analyse du risque sociopolitique que le rapport de Bloomfield était le plus attendu. Si Stanislas Zézé a d’abord reconnu que « le climat politique demeurait majoritairement stable », il a également émis des doutes sur sa viabilité alors que se profile l’élection présidentielle de 2025. « L’histoire de ce pays a montré que les élections, supposées être des actes banals de la démocratie, deviennent des moments de risques », a-t-il regretté.

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En cause, selon lui, le « choix de notre modèle politique » où les pouvoirs sont depuis l’indépendance concentrés entre les mains du parti aux affaires. Une absence de contre-pouvoir qui crée « un déséquilibre et des frustrations » et « entraîne des risques de gouvernement autoritaire, de corruption et de favoritisme », a prévenu M. Zézé.

Des « chocs exogènes » : Covid et guerre en Ukraine

Alors que le scénario d’une candidature d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat agite déjà les débats, « le maintien prolongé d’un président à la tête d’un parti politique peut engendrer des risques de stagnation politique et de faible renouvellement démocratique », détaille le rapport de Bloomfield. Une situation qui pourrait conduire à une « polarisation accrue de la société » et à des « tensions politiques », insiste le rapport, surtout si les processus électoraux « ne sont pas perçus comme transparents et justes ». Le tout pourrait « compromettre la confiance des investisseurs et la stabilité économique ».

La stabilité économique de la Côte d’Ivoire et sa résilience sur le long terme dépendent donc une nouvelle fois de l’épreuve des urnes. Car 95 % des PME contribuent à 20 % de la richesse du pays, a rappelé M. Zézé, tandis que 5 % de multinationales installées en Côte d’Ivoire génèrent 80 % de sa richesse. « Dans [l’éventualité d’]une crise qui perdure, a-t-il conclu, la probabilité que ces 95 % de PME maintiennent l’économie pendant que les multinationales délocalisent est plutôt mince. »

Invitée à s’exprimer à sa suite, la ministre Nialé Kaba a tiqué sur « certaines expressions qui, à notre sens, devraient être reformulées », tout en reconnaissant être « d’accord pour l’essentiel avec les conclusions de ce rapport ». Des « efforts soutenus » ont été faits sous la présidence d’Alassane Ouattara depuis 2012, a-t-elle affirmé, notamment sur « l’industrialisation », la réduction de la dette publique et les risques sécuritaires au nord du pays.

Evoquant les « chocs exogènes » successifs qu’ont représenté la pandémie de Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne, la ministre du plan a assuré que « les points de fragilité mentionnés dans le rapport font déjà l’objet d’efforts du gouvernement ». Elle a également exprimé « son étonnement et son désarroi » concernant la baisse de l’indice de développement humain (IDH), dont elle a dit ne pas avoir connaissance.

Une baisse pourtant déjà signalée par le dernier rapport global du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur le développement humain, où la Côte d’Ivoire a chuté entre 2021-2022 et 2023-2024, de la 159e à la 166place, sur 193 Etats évalués.

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