l’histoire d’une réparation intime et collective

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FRANCE 3 – JEUDI 25 AVRIL À 23 H 05 – DOCUMENTAIRE

C’est un film sur le « je » et sur le « nous ». Le « je », c’est Arnaud Gallais, aujourd’hui 42 ans, violé dès l’âge de 8 ans par un grand-oncle, prêtre missionnaire au Gabon, puis à 12 ans par deux cousins. Un homme, et ils sont encore rares, qui parle face caméra de ce qu’il a subi sans baisser le regard.

Un regard parfois difficile à soutenir tant il exprime encore de souffrance et de désarroi. Mais un regard franc qui dit une détermination, un engagement. Celui de s’en sortir, de retisser l’estime de soi et de choisir le combat collectif.

« Quand j’ai décidé de faire ce documentaire sur l’histoire d’Arnaud, explique le réalisateur Guy Padovani, je ne savais pas que cela me prendrait plus de trois ans et que je verrai cet homme fragile se transformer sous mes yeux en défenseur des droits de l’enfant. » C’est l’une des qualités de ce film : nous faire voir, au-delà du portrait, qu’intégrer le « nous » de l’engagement collectif peut aussi réparer le « je ».

Culture du silence

Arnaud Gallais grandit en région parisienne entouré de ses deux sœurs. Son père est directeur commercial dans une entreprise d’import-export, sa mère s’occupe du foyer. La famille semble unie. « Des moments de bonheur mis en scène, que tout le reste a effacés », résume-t-il dans le film. Car, derrière les murs du pavillon de banlieue, se déchaîne un père tyrannique qui humilie femme et enfants, s’acharnant particulièrement sur son fils, qu’il bat. « Notre grand-oncle savait ce qui se passait à la maison. Tout le monde savait, et personne ne faisait rien. De fait, cela m’a rendu vulnérable. »

Lorsqu’il est de passage en France, le grand-oncle missionnaire est hébergé dans la maison, qui comporte une chambre d’amis. C’est pourtant dans celle du garçonnet de 8 ans que le prêtre est invité à dormir. Il profite alors des problèmes d’énurésie de l’enfant pour, au prétexte de lui expliquer comment son corps fonctionne, le violer, durant plusieurs années. Jusqu’à lui faire croire qu’il était consentant.

Ce que dissèque le documentaire, c’est cet ordinaire de la violence familiale qui tétanise, isole, désigne une proie. « J’ai fait ce que j’ai pu, justifie dans un sanglot étouffé la mère d’Arnaud Gallais. C’est pas que j’étais démunie, mais, dans mon éducation, tu as fait des choix, tu dois les assumer. » Culture du silence et de l’acceptation, jusqu’à rendre possible l’agression.

S’ensuivent pour le jeune Arnaud plusieurs années d’amnésie traumatique, jusqu’au soir où, à 19 ans, devant un reportage télévisé sur un prêtre pédocriminel, il prend conscience que ce que d’autres victimes racontent, c’est ce qu’il a vécu.

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C’est le début d’un long chemin de reconstruction, tandis que ce qui reste de sa famille explose. Après une adolescence rythmée par les conduites à risque, Arnaud Gallais parvient à mener des études brillantes, sort diplômé en anthropologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. En 2010, il rencontre Alexandra et devient père cinq ans plus tard. « Quand notre fils est né, il a pu lui dire qu’il ferait tout pour être le papa qu’il lui faut et ne jamais ressembler à son père, témoigne-t-elle. Il construisait sa propre famille. »

La sortie, en 2021, du livre de Camille Kouchner, La Familia grande (Seuil), fait basculer la vie de l’universitaire dans le militantisme. Son histoire est médiatisée, il est invité sur les plateaux télévisés pour porter les revendications des victimes, notamment sur la fin de la prescription des crimes sexuels, il crée une association et sillonne la France à la rencontre d’autres collectifs, d’autres histoires. Guy Padovani suit chacun de ses pas, en famille, dans les studios de radio, sur le pavé parisien, au ministère de la justice, au diocèse d’Annecy.

Mais, malgré la prise de conscience de la société, la colère d’Arnaud Gallais est intacte. Le constat est amer : une Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) décapitée après trois ans de travaux et un rapport historique révélant l’ampleur du mal ; des recommandations ignorées ; une loi Billon censée protéger les mineurs de moins de 15 ans qui comporte une clause spéciale, dite « Roméo et Juliette », autorisant les relations sexuelles entre adultes de 19 ans et mineurs de 14 ans ; 73 % des plaintes déposées classées sans suite, une Eglise catholique qui renâcle à se soumettre à la loi.

« L’engagement militant me fait du bien. Il m’empêche de rester trop collé à cette réalité-là, qui est insupportable, dit Arnaud Gallais. Mais c’est un combat plus grand que soi-même. Ensemble, on est la République, une et indivisible. »

Inceste, un homme en colère, documentaire de Guy Padovani coécrit avec Anaïs Enshaian (Fr., 2024, 52 min). A la demande sur France.tv.

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