Note de la dette de la France : que faut-il vraiment craindre ?

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La décision est très attendue. Ce vendredi soir, les agences de notation Fitch et Moody’s rendront leur avis sur la note de la dette de la France. L’un des principaux responsables concernés, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, fait mine de ne pas y prêter attention. Le patron de Bercy est actuellement en déplacement à Rabat, au Maroc, où il a tenu ce vendredi un discours devant 300 chefs d’entreprise.

Faut-il redouter le verdict des agences américaines ? Le récent dérapage des finances publiques laisse craindre le pire. Fin mars, l’Insee a réévalué le déficit public à 5,5 % du PIB pour 2023, au lieu des 4,9 % initialement prévus. Mi-février, le ministre de l’Économie a été contraint d’abaisser ses prévisions de croissance, à 1 % pour 2024 contre 1,4 % prévu. En mars, l’agence de notation Moody’s a jugé « improbable » que la France parvienne à réduire son déficit public à 2,7 % d’ici à 2027.

« On a clairement une trajectoire de réduction du déficit qui est insuffisante et qui expose la France au risque d’une dégradation de sa note », estime Philippe Trainar, économiste spécialiste des questions financières.

Si la France perd son double AA, certains fonds d’investissement pourraient refuser de financer notre dette. « Pour les fonds, les catégories double AA et triple AAA sont considérées comme quasi sans risques. Mais la catégorie A, c’est autre chose », explique Norbert Gaillard, économiste et ancien consultant pour la Banque mondiale.

Pas d’effet de surprise

Mais ce risque reste limité, tempèrent les analystes. Déjà parce que ce vendredi soir, les agences pourraient ne dégrader que la perspective de la note, qui passerait de « stable » à « négative ». Or, « beaucoup de fonds se désintéressent de la perspective », estime un observateur français du secteur. De plus, cette dégradation des finances publiques françaises n’est pas une surprise, et les fonds l’avaient largement anticipée.

« Je doute qu’il y ait un grand moment de surprise sur les marchés du style : Bon Dieu la France est dégradée », ironise notre observateur. « J’aurais tendance à penser que cette dégradation est déjà assez intégrée dans les cours ; donc il ne va pas se passer grand-chose sur les marchés », abonde Norbert Gaillard, auteur du livre Les Agences de notation (ed. La Découverte, 2010). D’autant plus que la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a laissé entendre qu’une baisse des taux pourrait intervenir début juin. Un bon signal qui devrait rassurer les marchés financiers.

Un autre élément joue en faveur de la nonchalance affichée de Bruno Le Maire. Les agences de notation ont largement échoué à anticiper la crise mondiale de 2008-2010 et, depuis, elles ont perdu de leur pouvoir, estiment certains analystes. « L’impact d’une dégradation n’a pas disparu, mais il est quatre fois inférieur à ce qu’il était avant cette crise », défend Gilles Moëc, chef économiste du Groupe AXA.

Son analyse s’appuie sur une étude réalisée par des économistes de la Banque des règlements internationaux (BRI) et menée sur 1 000 épisodes de modification du rating souverain de 55 pays. « En 2011, les États-Unis ont perdu leur triple AAA, illustre Gilles Moëc. Il y avait un certain stress, des kilomètres de papiers avaient été écrits sur l’impact potentiellement dévastateur de cette dégradation… Et au final, il ne s’est pas passé grand-chose. Le jour de la dégradation, les taux d’intérêt ont même baissé ! Il y a qualitativement une érosion de l’impact des agences. »

Méthodes « opaques »

Les agences ont tout de même fait des efforts de transparence depuis la « crise de crédibilité » qu’elles ont traversé après la faillite de Lehman Brothers, élément déclencheur de la crise financière de 2008. « Avant les méthodes de notation étaient relativement opaques. Maintenant, on a une idée plus précise des critères utilisés, mais il y a toujours une forme de subjectivité quand les analystes doivent déterminer si la note doit être ajustée à la baisse ou à la hausse en fonction de ces différents critères », estime Norbert Gaillard.

Des conflits d’intérêts ont également été mis à jour après « le fiasco » de 2008. Si les « grands pays », comme la France, ne paient pas pour être notés par les agences, ce n’est pas le cas de certains pays, plus petits par leur taille et leur impact sur l’économie mondiale. « Cela pose un problème de conflit d’intérêts : les agences notent un émetteur de dette qui les rémunère », signale Norbert Gaillard.

Pour ne plus dépendre exclusivement du verdict des agences, les plus gros fonds d’investissement se sont mis à développer leurs propres systèmes de notation, en interne. « Tout le monde a investi dans des moyens de suivis très réguliers de l’orientation des politiques budgétaires qui sont sans commune mesure avec ce qui se faisait avant 2008, explique Gilles Moëc. Donc on regarde ce que disent les agences, mais, en interne, on a aussi la capacité d’anticiper les notes. »

Résultat : le risque, à quelques semaines des élections européennes, est avant tout politique. « Ça rappelle à tout le monde la note du prof. D’un coup tout le monde regarde, ça donne un coup de projecteur. Je comprends que ça puisse être éminemment désagréable pour un gouvernement », admet Gilles Moëc. Le verdict rendu par Standard & Poors, le 31 mai, soit 9 jours avant le scrutin européen, pourrait être encore plus déstabilisateur.


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